Nos terroirs face au défi de l'émergence

16 - Février - 2018
La problématique de l’émergence de nos territoires est au centre de nos débats publics depuis l'indépendance. Une brève observation des données économiques et sociales sur le Sénégal, laisse apparaître d’une manière claire et évidente que les disparités entre nos   collectivités locales sont profondes. L’écart entre la région de Dakar et le reste du pays est gigantesque au point qu’il peut remettre en cause la cohésion sociale, exacerber les tensions et constituer en somme un handicap pour le développement durable et harmonieux de l’ensemble du pays.
 
C’est pourquoi, donner une relative autonomie aux collectivités locales est une manière plus efficace de permettre une meilleure redistribution des ressources, services et de réduire au maximum les inégalités territoriales.
 
L’histoire du Sénégal montre en effet que le processus de la décentralisation remonte bien à la période coloniale et qu'il est en continuel procès. Après l’accession à l’indépendance, le Président Senghor dans le souci de consolider l’État et son autorité, centralisa l’essentiel des pouvoirs au niveau de Dakar et entre les mains de l’exécutif. Mais, à partir de 1972, en raison du contexte politique, économique et social difficile, il lança une importante réforme territoriale qui eût pour dessein d’assouplir les contraintes administratives, territoriales et institutionnelles, liées à la rigidité de l’État Jacobin, en transférant certaines compétences aux élus locaux avec la création des communautés rurales. D’où la mise en place de l’acte I.         
 
Depuis lors, de multiples réformes administratives, territoriales et diverses politiques ont été mises en œuvre afin de déconcentrer non seulement les services de l’État, mais aussi, de donner de nouvelles prérogatives et ressources aux collectivités locales, tout en favorisant l’émergence d’une démocratie de proximité. Ce qui permet d’associer les citoyens  aux  décisions prises au niveau local, d'améliorer l’efficacité de l’action de l’État et de donner des compétences propres à des entités distinctes de lui. On assiste dès lors à l’émergence d’un pouvoir local pour et par les citoyens en passant de la création des communautés rurales à la politique de la régionalisation qui donna aux régions des attributs plus larges avec l’adoption de la loi 96-07 du 22 mars 1996, érigeant la région en collectivité locale.
 
A travers ce processus, l’État visait non seulement à renforcer le pouvoir local en lui donnant plus de compétences qui puissent lui permettre de gérer des problèmes spécifiques, mais aussi, d’être à l’écoute des citoyens de nature à fonder ses choix politiques, économiques, sociaux et environnementaux sur une connaissance plus fine des besoins de la collectivité.
 
Ce qui permet en outre, de corriger les insuffisances de l’État central, d’améliorer la gouvernance, de désamorcer les contestations populaires, de minimiser les frustrations et de résoudre en partie la question de l’irrédentisme casamançais.
 
Au-delà des mots et des contextes, l'efficacité de l'action publique locale nécessité  
 
l'amélioration des conditions politiques et structurelles de ce processus, mais également, des élus dévoués, efficaces, respectueux des lois et principes républicains, une administration locale efficace et s’assurer que le pouvoir central respecte le transfert des ressources financières.
 
Ce qui pose quelques écueils, parce que non seulement beaucoup d’élus ne maîtrisent les outils sur le fonctionnement de la décentralisation et que les collectivités locales, ne disposant pas toujours le personnel qualifié et suffisant, ne reçoivent guère les ressources suffisantes à la hauteur de leurs attributions, malgré les efforts permanents du pouvoir central. Le gouvernement a sensiblement augmenté les Fonds de dotation de la décentralisation (F.D.D) et d’équipement des collectivités (F.E.C.L), lesquels sont passés de 35,5 milliards en 2015 à 43 milliards en 2017. Le président de la République, qui dès son accession au pouvoir a augmenté ces fonds, devra continuer ses efforts, dans la mesure où les dépenses et les charges ne cessent de croître dans nos terroirs avec la croissance démographique. A cela, il faut aussi noter que les  taxes locales sur lesquelles comptent en partie les collectivités locales pour mettre en œuvre leurs politiques sont faibles, parfois difficilement recouvrables, voire quasiment inexistantes dans certaines localités, accentuant ainsi le déséquilibre financier et économique entre collectivités locales.
 
La politique de la décentralisation bien que nécessaire et qui devra être approfondie n’a pas réduit de manière conséquente la pauvreté, ni les disparités entre collectivités locales  ; parce que les activités agricoles, économiques, industrielles et commerciales n’ont pas été suffisamment fortes  , le secteur agricole traverse diverses crises et les initiatives en matière de création de PME et de PMI ne sont pas suffisamment valorisées, d’où l’intérêt de les encourager et de simplifier les procédures bureaucratiques afin de les soutenir comme le suggère le Plan Sénégal Émergent (P.S.E).
 
Le Président Macky Sall a bien saisi à travers divers programmes ( PSE, PUDC, PUMA...) que pour être compétitif au niveau international et réussir le pari de l’autosuffisance alimentaire dont s’est fixé tous les gouvernements depuis l’indépendance, l’État devra non seulement continuer à moderniser le secteur agricole – ce à quoi il s'attelle - en apportant des innovations majeures tant dans la gestion des moyens techniques, logistiques, financiers, humains, que dans la production, la diversification des cultures et la commercialisation, mais également, poursuivre ses efforts dans la réalisation des infrastructures routières pour désenclaver les régions périphériques du pays. Il est évident que les infrastructures routières sont essentielles pour valoriser les potentialités économiques de chaque région et favoriser l’émergence, puisqu’elles facilitent les échanges, les activités commerciales, industrielles, économiques, culturelles et participent en définitive à la réduction de la pauvreté et à la création de richesse.  
 
En prenant conscience de la nécessité de poursuivre la politique de modernisation de nos collectivités locales, le Président Sall  a décidé de poser l’acte III, lequel se matérialise dans les faits par la communalisation intégrale avec l’érection des communautés rurales en communes de plein exercice, la création des conseils départementaux avec la suppression des régions, jugées lointaines et la modification de la répartition des compétences dans les collectivités locales. L’acte III qui s’inscrit dans un processus de modernisation de nos terroirs va modifier au fil du temps la gouvernance locale.  
 
Cette nouvelle redistribution des pouvoirs avec l’acte III a pour ambition de favoriser l’émergence de nos terroirs en territorialisant les politiques publiques, de renforcer la cohésion nationale, la solidarité entre terroirs et d’apporter des réponses adaptées aux carences notées dans le fonctionnement des collectivités locales depuis la mise en place de l’acte II.
 
De nouveaux pôles régionaux seront définis dans la seconde phase de l’acte III en tenant compte de la particularité et des ressources spécifiques de chaque terroir. Reste à savoir quelles seront les compétences de ces nouveaux pôles et comment ils seront administrés  ?  Ce qui suppose qu'il  y aura une nouvelle réforme administrative.  Et on se demande par exemple quel sera l’intérêt de maintenir sous la forme actuelle les prérogatives des gouverneurs ? La question mérite d'être posée pour éviter d'accentuer le chevauchement des compétences. Ne faudrait-il pas aussi  rattacher les communes non viables aux communes viables  ?
 
Pour permettre aux collectivités locales de disposer plus de liberté, d’être efficaces et de relever le défi du développement, il est nécessaire de s’attaquer profondément à la fiscalité locale en mettant à plat l’ensemble des prélèvements fiscaux. Comment une commune ou un département peut-il assurer les services publics et répondre à la demande sociale, de plus en plus forte, s’il est difficile de savoir qui est imposable et qui ne l’est pas  ? La question de la revalorisation de la taxe professionnelle dans certaines zones soumises à l’exploitation des ressources naturelles ou minières peut être portée à la réflexion. 
 
Soyons clairs, les ressources définitives ne suffiront pas pour relever les multiples défis de nos collectivités. Il faut que l’État, les différents acteurs et élus locaux poussent davantage la réflexion sur la façon de  créer des richesses, tout  en mettant en place des règles strictes et orthodoxes des dépenses publiques. Oui, il est fondamental d’améliorer les instruments d’identification des contribuables, de recouvrements et de contrôle des derniers publics. De même, le pouvoir local ne peut pas échapper aux réformes pour rendre les terroirs plus dynamiques et en phase avec l’évolution du monde actuel.
 
La question de l’autonomie financière des collectivités mérité d’être posée sans arrière pensée au nom de l’intérêt national, en permettant également un accès facilité, encadré et garanti des pouvoirs locaux aux ressources temporaires qui doivent être destinées uniquement aux financements des dépenses d’investissement. Les pouvoirs locaux doivent avoir plus de marges de manoeuvre sur ce sujet d’une grande importance, sans pour autant tomber dans le surendettement. Car l’emprunt doit être basé sur la solvabilité, donc sur la capacité à rembourser. Cela suppose également la mise en place de nouveaux instruments juridiques avec un contrôle régulier, systématique des comptes des collectivités et la possibilité donnée aux enquêteurs de l'IGE ou tout autre service compétent de signaler toute violation et/ou abus de biens sociaux devant la justice sans ou avec l'onction du chef de l'exécutif.
 
La décentralisation suppose par ailleurs que les pouvoirs locaux doivent s’atteler à faire la promotion de leurs départements et villes dans le but d’attirer des visiteurs, investisseurs nationaux et étrangers, dont les apports financiers sont importants pour développer le pays. Mais très peu d'élus utilise l’article 19 du Code général des collectivités locales qui  leur offre toute la latitude de mener une politique de coopération et de diplomatie locale, avec la possibilité de trouver des partenaires à l’étranger qui pourront les accompagner financièrement et techniquement dans leur politique de développement local. Le Codéveloppement en est l’une des illustrations. A travers le dispositif PAISD (Programme d’appui aux initiatives de solidarité pour le développement), des milliers de projets de développement ont été réalisés par la diaspora dont l’apport reste décisif pour l’émergence de notre pays.
 
En dernière analyse, je crois qu’en associant les citoyens à l’élaboration des décisions politiques locales, on pourra favoriser la transparence et on améliorera sensiblement la qualité des services publics. Il est plus que jamais nécessaire d’associer le citoyen aux affaires de la commune ou du département en créant des lieux d'écoute et de dialogue, afin de permettre aux uns et aux autres de s'exprimer sur des projets locaux les concernant. 
 
Les pouvoirs publics doivent faire de sorte qu’on donne la possibilité aux citoyens de peser concrètement sur les orientations budgétaires de leurs cités, tant sur le volet investissement que sur celui qui concerne le fonctionnement, en votant démocratiquement les propositions que nous pouvons nous même émettre. Chaque citoyen doit avoir la possibilité de faire des propositions pour son quartier et d’agir directement sur la politique locale et nationale.
 
In fine, les pouvoirs publics doivent continuer à affiner leurs stratégies de développement local, en traitant globalement et avec profondeur les questions économiques, fiscales, sociales, démocratiques, environnementales et d’urbanisation.
 
 
 
Dr Souleymane S. Diallo, Section  Apr des Amandiers, Terroirs Émergents et Solidaires 
 
dialloley@yahoo.fr
 
 
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