Treize ans après la disparition de l'abbé Diamacoune Senghor: La Casamance toujours à la recherche d'une paix qui ne vient pas

13 - Janvier - 2020

En ce jour 13 janvier 2020, voilà 13 ans jour pour jour depuis que la figure historique du Mfdc, l'abbé Diamacoune Senghor a tiré sa révérence suite à une longue maladie qui avait conduit à son évacuation en France où il avait rendu l'âme. Et depuis sa disparition, le processus de paix en Casamance n'a pas connu des avancées significatives, on a plutôt assisté à chaque fois à des rendez-vous manqués ou des espoirs déchus. Et à l'alanalyse, les raisons paraissent multiples pourrait-on dire.
Le premier aspect qu'il faut noter c'est d'abord que le décès de la figure de proue du Mfdc a davantage fragilisé l'unité du mouvement indépendantiste qui était déjà très divisé des années avant sa mort. Cette division se caractérise aujourd'hui par l'absence d'un bureau politique du Mfdc. Les nombreuses contradictions internes ont fait que depuis le décès de Diamacoune, le mouvement ne s'est jamais réuni pour désigner son successeur à sa tête. Tous les responsables du mouvement qui se prévalent d'un titre quelconque se sont autoproclamés, donc quand ils parlent, cela n'engage pas leurs autres frères. Il y a eu certes une tentative de réorganiser les choses au sein du mouvement afin de pouvoir restaurer l'unité. Et l'initiative était venue des anciens collaborateurs de Sidy Badji, le premier chef d'Atika, la branche armée du mouvement qui, avec l'abbé Diamacoune, étaient les deux principaux responsables du Mfdc. Ils avaient mis en place une structure, dénommée ''le groupe de contact'', pilotée par Louis Tendeng, un ancien combattant revenu à la vie civile. Cette structure avait pour vocation de ratisser large pour restaurer l'unité de tous les différents clans de l'aile politique qui ont leurs quartiers à Ziguinchor et ensuite descendre dans le maquis pour rapprocher Salif Sadio et César Atoute Badiate les deux principaux chefs de guerre du mouvement, devenus ennemis jurés. Mais, malgré la volonté de Louis Tendeng et ses collaborateurs parmi lesquels on peut citer Youssouf Coly, un autre ancien combattant revenu à la vie civile qui était un chargé de mission de Sidy Badji, les choses n'iront pas loin. Leurs démarches se heurteront vite à l'intransigeance de certains responsables qui travaillaient dans l'entourage de l'abbé Diamacoune comme Abdou Elenkine Diatta qui ne voulaient pas se soumettre à l'autorité de Louis Tendeng qu'ils considéraient comme des pions du gouvernement sénégalais. Donc, à priori, ils soupçonnaient ces membres du groupe de contact de faire un double jeu. Les proches de l'ex-secrétaire général du mouvement, Jean Marie Biagui, refuseront, eux aussi, de rejoindre ce groupe qui, finalement, n'a pas réussi son objectif de rassembler le restant de l'aile politique du Mfdc pour ainsi pouvoir essayer de mettre en place un nouveau bureau national.
Du côté du maquis aussi, leurs actions se solderont par un échec; ils ne réussiront pas à faire taire leurs querelles Salif Sadio et César Atoute Badiate, le premier nommé considérant toujours comme un traître qui travaille avec des forces occultes pour faire échouer l'objectif du Mfdc de mener la Casamance à l'indépendance. Au contraire, leur division s'est accentuée, tous les ponts sont aujourd'hui coupés entre eux. Et tous les observateurs avisés sont d'avis que ces deux chefs de guerre ne feront jamais la paix. Pour rappel, ils se sont tirés deux fois dessus, en 2001 et en 2006. Et à chaque fois, c'est César qui avait pris le dessus parce qu'aidé par l'armée bissau-guinéenne. À l'origine de leur antagonisme, l'abbé Diamacoune voulait faire quitter Salif Sadio de la tête d'Atika où ce dernier a été porté par des responsables du Mfdc à l'insu du prélat, suite à une rencontre que l'ancien chef de la branche armée du Mfdc, Léopold Sagna a eue au palais présidentiel à Dakar en 1994 avec le président Abdou Diouf. Ces responsables et une bonne frange du maquis avaient considéré cela comme une trahison et donc ils ont intronisé Salif Sadio avant le retour de ce dernier. Chose que l'abbé Diamacoune avait toujours récusée. Ainsi, il avait demandé à maintes reprises à Salif de démissionner, chose que ce dernier avait toujours refusé. Et finalement, l'abbé avait pris l'option d'armer les César pour le faire partir de force. Et le prélat avait bénéficié d'un important appui du gouvernement bissau-guinéen, sous le règne de Coumba Yala, pour mener cette opération qui avait permis de prendre la base stratégique de Kassolol qui est aujourd'hui le quartier général de César.
Au final, si les démarches des Louis Tendeng avaient réussi, l'ensemble des franges du mouvement allaient se retrouver en Guinée-Bissau ou en Gambie pour tenir un conclave qui devrait leur permettre de taire toutes leurs querelles et mettre en place de nouvelles instances qui allaient formaient l'équipe devant représenter le Mfdc à la table de négociations face au gouvernement. Conscients de la nécessité de ce conclave pour des retrouvailles, gage d'une paix durable, même le groupe de Robert Sagna avait soutenu cette idée et a travaillé pour sa tenue. Mais, jusque-là, ce projet tarde à se réaliser et même devient de plus en plus incertain compte tenu des divergences qui ne cessent de s'accentuer au sein du mouvement.
Cette situation de division a rendu compliqué le travail des émissaires du gouvernement qui tentent de convaincre les indépendantistes à déposer les armes et accepter d'aller à la table de négociations. En fait, ils n'ont pas d'interlocuteur au sein de l'aile politique du Mfdc qui n'existe que de nom sur le plan local. Ils sont obligés de prendre langue avec plusieurs groupes à la fois et ces groupes ont, souvent, des opinions différentes par rapport aux propositions déclinées par ces négociateurs pour aller à la paix. Mieux, même si ces différents groupes donnent un avis favorable par rapport à une proposition, cela sera rejeté par les différentes factions du maquis sur qui ils n'ont aucune influence.
Face à cette situation, certains négociateurs ont pris l'option de négocier exclusivement avec les porteurs d'armes estimant que c'est avec eux qu'il faut faire la paix. Mais là également, il y a des obstacles puisque le plus radical Salif Sadio n'accepte pas de les recevoir et César, de son côté, devenu de moins en moins inaccessible. Il a verrouillé son quartier général aux négociateurs de paix depuis plus de trois ans, nous dit-on.
Et comme pour compliquer encore les choses, les responsables de l'aile extérieure qui se trouvent en Europe sont aussi divisés en clans aujourd'hui, chacun d'entre eux se fait passer comme l'unique responsable crédible du Mfdc. Par conséquent, rien ne se fera sans son implication. Ainsi, ils torpillent systématiquement toutes les initiatives de paix ne les impliquant pas en s'appuyant sur les différents groupes qui existent au sein du mouvement et notamment au sein du front sud du maquis où certains d'entre eux sont très écoutés. C'est ce qui se passe depuis plusieurs années maintenant. Et chacun de ces responsables fait tout pour contrôler un petit groupe ou une des factions du maquis pour pouvoir exister.
Il faut relever que certains collaborateurs du gouvernement, de l'époque, dans la recherche de la paix ont aussi une part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui au sein du Mfdc. En fait, leurs conseils ont conduit à la confusion que connaît aujourd'hui l'aile politique du Mfdc. Ces collaborateurs, dès le lendemain de la mort de l'abbé Diamacoune, avaient conseillé le gouvernement de ne pas laisser le mouvement se réorganiser pour trouver un remplaçant à l'abbé Diamacoune au motif que cela pourrait redonner de la force au Mfdc et ainsi rendre compliquée la tâche des négociateurs de paix. Pour eux, si l'aile politique du mouvement se disloque, cela allait conduire à la mort, à petits feux, des velléités indépendantistes. Mais, aujourd'hui, force est de reconnaître que leurs conseils n'ont pas produit les effets escomptés. Certes, sur le terrain, on note une certaine accalmie depuis un certain temps, mais de l'avais de tous les observateurs, cette situation ne présage pas d'une paix définitive. En témoin, les bandes armées se signalent de temps en temps par des attaques armées sur les axes routiers de la Casamance et dans les villages. Récemment, par exemple, une bande armée a fait une incursion dans un village non loin de Ziguinchor et y a pris du bétail. Chose qui n'était plus arrivée depuis plus de dix ans dans cette partie de la Casamance et cela fait dire à certains observateurs qu'il y a à craindre que l'on revient aux années de braises quand les bandes armées décimaient des troupeaux entiers de vaches dans cette zone. Au niveau de la zone de Goudomp, on assiste même à des morts d'hommes, tués par les bandes armées qui écument régulièrement la zone. 

Mamadou Alpha Diallo (infos15.com)

 

 

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