Elimane, père de Youssou N'Dour, l'autre roi du Sénégal

21 - Octobre - 2018

On le trouve rue 19, angle 2. La plupart du temps, il est assis devant sa maison, sur une chaise en bois, en train de discuter avec un ou deux voisins. Kufi gris, djellaba grise, Elimane N’Dour habite au cœur de la Médina, ce quartier populaire de Dakar, créé en août 1914, l'été du déclenchement de la Grande Guerre, pour loger les habitants du Plateau et tenter d’enrayer une épidémie de peste. Le vieil homme n’a jamais voulu en partir. "Je vis là depuis que je suis arrivé à Dakar, à l’âge de 17 ans. Cela fait maintenant quarante ans que je suis le chef des habitations de Gouye Mariama, entre la rue 19 et la rue 23."

"C’est moi que l’on vient voir quand il y a un problème de voisinage, de voirie, de fuite d’eau, d’ordures, de mur qui s’écroule. Je finirai mes jours ici."
Elimane N’Dour a "90 ans, plusieurs femmes, beaucoup d’enfants". On lui demande combien. "Vous voulez vraiment savoir ? J’ai eu la chance qu’Allah m’accorde de nombreux garçons et de nombreuses filles. Est-ce nécessaire de les compter ?" Renseignements pris, il en aurait au moins neuf. On est venu le voir, justement, parce que l’un de ses fils est l’homme le plus célèbre du pays. Le père attaque d'emblée :"Mais, moi, au Sénégal, j’étais connu bien avant la naissance de Youssou."
Youssou N’Dour, donc, le fils aîné d’Elimane. Roi du mbalax, la musique la plus populaire du pays (35 albums, deux disques d’or, un Grammy Award, des collaborations avec Peter Gabriel, Paul Simon, Neneh Cherry…). Mais aussi ancien ministre de la Culture et du Tourisme, actuel conseiller spécial du président Macky Sall, patron d’un groupe de presse qui emploie 500 personnes, du quotidien le plus lu au Sénégal – "l’Observateur" –, d’une radio, d’une chaîne de télévision, propriétaire d’un studio d’enregistrement, le Xippi, d’une discothèque dans le Grand Dakar, le Thiossane, où les clients ont parfois le privilège de le voir jouer…

Youssou N’Dour a été élu parmi les cent personnalités les plus influentes de la planète par le magazine "Time". Il fait régulièrement partie des classements des plus grosses fortunes du pays. La presse sénégalaise lui attribue un compte en banque garni de 95 milliards de francs CFA. L’équivalent de 1,5 milliard d’euros.

Cela fait bien longtemps que le musicien a quitté la Médina, le quartier où il est né et a grandi. Il est parti s’installer aux Almadies, le coin chic de Dakar, avec son cap rocheux, ses plages de sable blanc, son Club Méditerranée, ses discothèques et ses restaurants, ses villas de luxe appréciées de la bourgeoisie sénégalaise et des expatriés occidentaux. "Elimane N’Dour aurait pu aussi habiter là-bas, dans une belle maison, avec un grand jardin, des domestiques, au bord de l’océan Atlantique", raconte son ami Mamadou Boye Diallo, artiste-peintre, également pilier de la Médina.

Le fils lui a proposé dix fois. Le père a toujours dit non. "On ne trahit pas le quartier qui nous a accueilli, tranche Elimane N’Dour, celui de toute une vie", avec son marché gorgé de fruits et de babioles en plastique made in China, Tilène, avenue Blaise-Diagne, ses ruelles enchevêtrées qui portent des numéros en guise de noms, ses échoppes de tailleurs, sa Grande Mosquée, bâtie au XVIIe siècle, ses bruits de klaxons ininterrompus, ses marchands ambulants de mouchoirs en papier et de cigarettes à l’unité.

"Pourquoi avoir plus ?"

La maison d’Elimane N’Dour ressemble à toutes les modestes bicoques du quartier. Une façade grise, un étage, une courette, une plante grasse qui essaye de pousser sur quelques centimètres de terre. Les seuls éléments ostentatoires sont un 4×4 Mitsubishi Pajero noir, qui reste garé devant la porte d’entrée le plus clair du temps et un écran plat géant, qui occupe presque tout le mur du salon.

"Pourquoi avoir plus ? Youssou est un garçon formidable. Chaque fin de mois, il me donne une enveloppe qui dépasse largement mes besoins. J’en profite pour distribuer un peu d’argent, faire des cadeaux, à mes amis, à mes voisins, à mes nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants…"
Elimane N’Dour est né dans une famille sérère – la troisième ethnie du pays après les Wolofs et les Peuls –, de caste noble, à Thiès, une ancienne ville de garnison, où passe le train pour rejoindre le Niger, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Dakar. Il en est parti à l’adolescence, "pour gagner un peu d’argent et pouvoir aider [ses] parents".

Il a fait tous les métiers. Ramasseur de papiers dans un camp militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, commerçant, mécanicien (ce qui lui a valu le surnom de "Mercedali" dans la Médina), chauffeur, forgeron, soudeur métallique… Il a insisté pour continuer à travailler quand son fils est devenu riche et célèbre et a voulu qu’il prenne sa retraite. Il y a peu encore, à 80 ans passés, il construisait des tables en fer dans un atelier de forgerons de la Médina. "Il faut pouvoir vivre sans tendre la main", dit-il.

Elimane N’Dour ne voulait pas que son fils devienne chanteur. Il rêvait qu’il "travaille dans un bureau". Youssou N’Dour compose sa première chanson à 13 ans, donne de la voix dans les fêtes familiales, crée son orchestre, Super Etoile. La mère, Ndeye Sokhna Mboup, deuxième épouse, mariée l’année de ses 16 ans, et elle-même griotte (conteuse et chanteuse) de l’ethnie toucouleur, plaide la cause de son fils et décroche l’autorisation paternelle de l’inscrire à l’Institut des Arts. Aujourd’hui, Elimane N’Dour se dit "très fier de Youssou". Il regarde ses concerts à la télévision et a accroché dans son salon une photo de lui prise lors d’un de ses – nombreux – passages à Bercy. Le portrait de Youssou N’Dour trône aux côtés de ceux de Léopold Sedar Senghor, le premier président du Sénégal, d’Abdou Diouf, son successeur et d’Elimane, jeune.

Le cliché doit dater de 1958. Cette année-là, le 26 août, au cours de sa tournée africaine de 20.000 kilomètres, Charles de Gaulle, qui vient de revenir aux affaires, atterrit à Dakar. Sur l’ancienne place Protêt, devenue aujourd’hui place de l’Indépendance, des centaines de manifestants, jeunes, étudiants, syndicalistes, indépendantistes, l’accueillent bruyamment avec des slogans et des pancartes. Parmi eux, Elimane N’Dour. Il a inscrit "Indépendance immédiate" sur la sienne. Du haut de sa tribune, le Général réplique aux contestataires : "Je m’adresse aux porteurs de pancartes, s’ils veulent l’indépendance, qu’ils la prennent le 28 septembre !", allusion à la date du référendum sur le maintien des colonies dans la Communauté française. Elimane N’Dour a voté contre.

"Youssou n’était même pas encore là [il est né en octobre 1959, NDLR] et j’étais déjà roi."

Nouvel Obs

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