LES FOUS DU PAYS
Les fous du pays parlent.
Ils parlent tout le temps.
Ils parlent en leur nom propre,
et prétendent parler au nom de nous tous.
Ils parlent, et on rit.
Ils parlent, et on fuit.
Ils parlent, et on relaie.
Ils parlent, et on s’habitue.
Sans comprendre que se taire face au danger
on nourrit la tempête.
On donne au venin la légitimité du silence.
Au Sénégal, que de fous errent en liberté.
Leurs postillons, chargés d’étincelles de feu,
éclaboussent un pays fragile, amnésique,
où le moindre souffle peut embraser le ciel.
Ils n’ont ni trône, ni titre,
mais ils ont l’audience.
Une audience nationale.
Une audience de conquérants.
Et nous, spectateurs muets,
leur offrons la scène.
Les fous du pays parlent.
Et dans leurs délires,
ils appellent à la haine.
Ils dégainent des mots comme des machettes,
et sèment des graines de guerre dans les esprits fragiles.
Mais qui sont-ils, ces fous ?
Des prêcheurs sans foi.
Des influenceurs sans conscience.
Des patriotes enragés, sans boussole ni mesure,
vomissant leur venin sur les ondes et les réseaux.
Ils parlent.
Et l’État regarde ailleurs.
Tant que leurs mots épargnent le pouvoir,
ils peuvent calomnier, insulter, menacer.
Tant que leurs discours divisent sans déranger le Parti,
on les laisse régner sur les poubelles du débat public.
Ils parlent religion : on laisse faire.
Ils parlent politique : on tolère.
Ils parlent sexe : on rigole.
Mais voilà qu’ils parlent ETHNIE…
Et là, le silence devient complice.
Ils opposent Peuls et Wolofs,
Sérères et Diolas,
comme si le pays n’était qu’un défouloir
suspendu au souffle des fous.
Les fous du pays.
On banalise leurs propos.
On partage leurs vidéos.
On commente, on s’indigne,
mais on n’agit pas.
Sénégalais,
nous sommes les spectateurs d’une poudrière.
Et pendant que les pyromanes dansent,
la République dort.
Souvenons-nous, mes frères et sœurs :
ce ne sont jamais les armes qui déclenchent la guerre.
Ce sont les mots.
Toujours les mots.
Des mots fous.
Des mots de trop.
Des mots dits trop longtemps,
sans qu’un seul ne dise : Basta !
Continuons de laisser parler les fous…
Et un matin,
il ne restera plus de pays.
Seulement des cendres.
Et des regrets.
Mamadou Bamba Tall
Écrivain & Poète
Philosophe humaniste
bambatall@yahoo.fr
Montréal, Qc Canada
Vives le Sénégal