Macky SALL « au cœur » : de l’ambiguïté grammaticale et stratégique ! (par Malick Sonko)

30 - Septembre - 2025

La formule choisie par Macky Sall pour intituler ses ouvrages, « Le Sénégal au cœur » puis « L’Afrique au cœur », laisse au puriste de la langue un arrière-goût d’inachevé. Ces titres, volontairement incomplets, ne peuvent se concevoir que dans le cadre d’une ellipse grammaticale, soit en amont, soit en aval.
Soit on comprend qu’il a quelque chose au cœur (« J’ai le Sénégal au cœur »), soit on lui concède que le Sénégal est au cœur de quelque chose (« Le Sénégal au cœur du monde »).
La véritable originalité des titres de Macky SALL tient dans cette sorte d’ellipse en miroir où ces formules oscillent entre deux lectures possibles, sans jamais se fixer. L’ellipse en amont suggère l’aveu personnel : « J’ai l’Afrique au cœur », une déclaration intime, presque confessionnelle, où le registre affectif domine. L’ellipse en aval, au contraire, ouvre vers le politique : « L’Afrique au cœur de (du monde, des transformations, des enjeux)… ». Elle appelle un complément, une projection, un horizon stratégique où le continent devient centre de gravité et matrice d’ambition.
Nous sommes en face d’une construction rhétorique calculée. L’ambiguïté permet de parler à deux publics à la fois : à celui qui attend une sincérité émotionnelle, on offre la chaleur du cœur ; à celui qui cherche une vision, on suggère la centralité géopolitique. Ainsi, le titre agit comme un slogan polyvalent, capable de se prêter à des interprétations multiples sans jamais s’enfermer dans une définition stricte. C’est là sa force de communication, mais aussi ce qui suscite le malaise du lecteur puriste : derrière l’efficacité du slogan, il devine une indétermination, voire une esquive.
La suspension du sens, qui marque les titres Le Sénégal au cœur et L’Afrique au cœur, n’a rien d’un hasard. Elle s’inscrit dans une esthétique de la suggestion. Ces formules ne livrent pas tout, elles laissent flotter le sens. Mais ce flottement ouvre deux chemins de lecture. Pour certains, il s’agit d’un artifice de création littéraire, une manière délicate de laisser au lecteur le soin de compléter la phrase par son propre imaginaire. Pour d’autres, c’est une stratégie de communication parfaitement calculée : ne rien dire trop clairement pour que chacun entende ce qu’il veut bien entendre. Là où le puriste y voit une indélicatesse de style, une phrase inachevée, le communicant y célèbre une force rhétorique : la souplesse d’un slogan.
Avec Macky Sall, la formule (…au cœur) prend une dimension presque de label ou de marque déposée. Après le Sénégal et l’Afrique, pourquoi pas « L’homme au cœur » … pour un crescendo plus globalisant !
En définitive, Le Sénégal au cœur et L’Afrique au cœur ne sont ni des fautes, ni des évidences. Ils relèvent d’un choix stylistique qui dit beaucoup de notre époque. Là où l’élégance classique aime la précision et la complétude des phrases, l’élégance moderne préfère la suggestion, le slogan, la formule ouverte.
« Avoir l’Afrique au cœur », c’est se placer dans une position d’une commodité remarquable. Qui reprocherait à un leader d’être passionné par son continent ? La formule désamorce par avance toute critique sur le fond : elle remplace le programme concret par une profession de foi, le plan d’action par une émotion.
Le patriote y verra un nationalisme fervent, le panafricaniste y lira une vision continentale, l’internationaliste y décèlera une ouverture sur le monde. Chaque audience comble le silence avec ses propres aspirations. Le titre ne dit rien, mais suggère tout. Et c’est là toute sa puissance : il ne s’engage sur rien, tout en promettant l’essentiel.
Face aux spéculations sur une candidature à l’ONU ou un retour en 2029, le discours de Macky SALL reste dans l’ambiguïté elliptique.
« L’Afrique au cœur » devient ainsi un slogan parfait pour un présumé aspirant Secrétaire Général de l’ONU. Il se présente non pas seulement comme un leader sénégalais, mais comme le porteur de la cause africaine sur la scène mondiale. La formule est suffisamment large pour englober la paix, le développement, la justice climatique, sans s’engager sur des mesures spécifiques qui pourraient déplaire. Elle dit : « Je suis l’avocat du continent », sans jamais détailler la plaidoirie.
« Le Sénégal au cœur » joue un rôle complémentaire : c’est le sésame pour un éventuel retour en 2029. Il entretient le lien affectif, la promesse d’un attachement profond, sans annoncer de programme précis. C’est une déclaration d’amour, pas un contrat. Elle permet à Macky Sall de rester présent dans le paysage émotionnel des Sénégalais, tout en esquivant les questions concrètes et parfois clivantes : croissance, énergie, politique sociale… Le cœur n’a pas à débattre des chiffres, seulement à exister.
Ces titres sont les pierres angulaires d’un positionnement « au-dessus de la mêlée ». Ils construisent l’image d’un homme d’État dont les préoccupations sont si vastes, si fondamentales qu’elles transcendent les querelles politiciennes du quotidien. C’est le langage de l’apaisement et de l’union, mais aussi, potentiellement, celui de l’imprécision volontaire.
En somme, cette ellipse grammaticale est l’incarnation parfaite d’une ellipse politique. Elle saute par-dessus les questions qui fâchent, les détails qui engagent, les promesses qui pourraient se retourner contre leur auteur. Elle laisse « beaucoup à entendre », parce que son but n’est pas de décrire une réalité, mais de faire rêver à des possibles.
La fragilité grammaticale que pourrait déplorer un puriste nostalgique devient, sur le plan stratégique, une arme de séduction massive. Derrière le flou, l’intention se lit subtilement : séduire, rassurer, rester universel, tout en restant libre de préciser ou de choisir au moment d’agir.

Malick SONKO, Inspecteur de l'Education à la retraite et
Analyste littéraire

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