LES DERNIERS MOTS DE LAMINE DIACK AU JUGE : « JE NE ME RECONNAIS DANS L’IMAGE D’UN HOMME QUI CHERCHE A S’ENRICHIR »

Les avocats de Lamine Diack, Me Simon Ndiaye et Me William Bourdon, ont plaidé la relaxe pour leur client. C’est le mercredi 16 septembre qu’on saura si Lamine Diack sera condamné ou s’il retrouvera la liberté. En attendant, ses avocats ont livré des plaidoiries étincelantes et incisives pour convaincre le tribunal de le blanchir. Invité à placer quelques mots, Lamine Diack dira : « Je ne me reconnais pas dans l’image d’un homme qui cherche à s’enrichir. »
Jeudi 18 juin, nous sommes à la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Me Simon Ndiaye vient de terminer sa longue plaidoirie, aussitôt, la juge Rose-Marie Hunault demande une suspension de l’audience pour permettre aux uns et aux autres de reprendre des forces. Mais pour une fois, Lamine Diack ne quitte pas la salle, il s’avance vers un groupe de trois personnes, trois supporters plus exactement, et commence à deviser avec eux, leur raconte des anecdotes sur ses lointaines années de sportif. Preuve du soulagement de l’ancien président de l’IAAF après l’étincelante et incisive plaidoirie de Me Simon Ndiaye. A vrai dire, la robe noire a su trouver les mots et les arguments pour tenter de déconstruire les thèses de l’accusation, notamment les « raisonnements simplistes du Parquet ». Il s’agit pêle-mêle du financement présumé de la campagne électorale de Macky Sall, en 2012, avec l’argent des Russes, de la Médaille de l’amitié remise par les mêmes Russes à Diack père, des conflits d’intérêts, du népotisme….
Simon Ndiaye, le tueur froid
Concernant ce dernier point, Me Simon Ndiaye soutient que c’est inexact d’affirmer que Lamine Diack cherchait à placer son fils. Et l’argent que Massata Diack virait à son père, en l’occurrence 625 mille euros en quatre ans, ce n’est pas un crime, a laissé entendre l’avocat, convoquant la culture africaine pour expliquer les devoirs d’un fils envers son père. En Afrique, un enfant qui a été nourri par son père jusqu’à ce qu’il ait eu ses 32 dents, doit, à son tour, entretenir son père jusqu’à ce qu’il n’ait plus ses 32 dents, a-t-il expliqué en substance. Visiblement extasié, un supporter de Lamine Diack n’a pas pu résister à l’envie de d’acquiescer par un « hum ».
Quid du financement présumé de la campagne électorale de Macky Sall lors de la présidentielle de 2012 ? Simon Ndiaye se veut catégorique : il n’y a pas un seul élément de preuve sur le lien entre la gestion du dopage des athlètes russes et le financement de la campagne électorale au Sénégal. Selon lui, si son client avait fait des aveux lors de sa garde-à-vue, c’est qu’il avait été « déstabilisé ». En plus, Lamine Diack « a voulu se comporter en chef, couvrir ses collaborateurs ». En somme, d’après l’avocat, Lamine Diack n’a pas financé la campagne électorale de Macky Sall. Et la Médaille de l’amitié que les Russes lui ont remise ne peut pas être brandie comme une preuve, selon l’avocat. Il révèle que Diack devait être décoré par François Hollande, l’ancien président de la France, mais cela n’avait pas été fait. S’il l’avait été, « on aurait dit quoi ? », interroge Me Ndiaye. Lamine Diack « était athlète, il ne se voit pas racketter un autre athlète », martèle-t-il. L’avocat dénonce aussi une instruction exclusivement à charge, laissant entendre que l’actuel patron de l’IAAF, Sebastian Coe devrait être entendu. Etait-il le prince qui attendait la chute du roi pour le remplacer, lui l’ancien vice-président ? S’est-il tu pour conserver ses chances d’être le dauphin ? Après ces questions, Me Simon Ndiaye demande alors pourquoi il n’est pas convoqué. L’avocat dira aussi au passage que l’accusation ne devrait pas parler de conflits d’intérêts puisque, révélé -t-il, Coe avait son agence et était en même temps ambassadeur de Nike. « Ou sont les dirigeants de VTB » la banque russe, interroge Me Ndiaye ? Dans le dossier, rappelle-t-il, on parle des « hautes autorités russes ». « Medvedev ? Poutine ? Pourquoi ne sont-ils pas convoqués ? » Balayant d’un revers de la main les « raisonnements simplistes du Parquet », Me Simon Ndiaye rappellera que l’objectif de son client était de lutter contre le dopage mais de façon « intelligente » et « pédagogique », ajoutant que « tout le monde savait que le dopage était » massif en Russie. L’avocat explique que Diack était confronté à un « choix cornélien ». Soit, suspendre les athlètes russes dopés, soit temporiser. Mais attendre, ce n’est pas cautionner l’impunité, estime Me Simon Ndiaye. A l’en croire, l’ancien président de l’IAAF a pris une solution « juste » pour résoudre l’équation. Gabriel Dollé, le responsable du service antidopage de l’IAAF au moment des faits, était d’accord, d’après l’avocat ajoutant que le médecin avait exposé le problème à son équipe et était parvenu à les convaincre.
Au terme de sa tirade, Simon Ndiaye fixe les juges du regard et leur dit : « Lamine Diack est au crépuscule de sa vie, ceux qui saluaient son œuvre, veulent l’enterrer aujourd’hui, veulent brûler sa mémoire. Le tribunal ne doit pas se laisser prendre dans ce jeu. » Il tourne vers son client et place ces mots : « J’espère que vous allez retrouver la liberté pour écrire vos mémoires. Et j’espère qu’ils vont servir aux jeunes. »
Me Bourdon, un as de la plaidoirie
Me Bourdon, un autre ténor du Barreau enchaîne avec cette phrase choc : « Si nous ne réussissons pas à faire libérer Lamine Diack, la mort, elle, le fera car il mourra en prison, Lamine Diack est un homme malade. » Il révèle que son client « a surmonté un cancer » et est aux prises avec un diabète de type 2. Dans une plaidoirie aux allures de one-man-show, Me Bourdon commence lui aussi à pilonner les plaidoiries des parties civiles mais surtout « les réquisitions (…) inhumaines » du Parquet. « On veut nous embarquer dans une logique de symbolisation. », fulmine l’avocat. Il gronde, tape du poing sur le pupitre et revient sur la « lourde » peine requise par le Parquet contre Lamine Diack après avoir rappelé la condamnation à quatre ans, mercredi dernier, à Paris, pour détournement de centaines de millions d’euros d’argent public du Syrien Rifaat al Assad, surnommé le « boucher de Hama » « Vous réclamez la même peine que les plus grands bourreaux du monde », dit-il au Parquet. Me Bourdon se tourne ensuite vers la présidente et la prie « de ne pas se laisser prendre dans une logistique qui n’est pas judiciaire ». Il lui demande de faire preuve d’une « indépendance intellectuelle et de cœur », « vous pouvez le faire », lui dit-elle. Même s’il reconnaît que son client a fait « quelques erreurs », Me Bourdon soutient que la relaxe s’impose pour Lamine Diack.
Les derniers mots de Lamine Diack
Au terme de ce procès marathon, l’ancien président de l’IAAF est invité à la barre pour placer ses derniers mots. Entouré de ses deux avocats, il dira à la président Rose-Marie Hunault : « Je crois profondément à la vertu éducative du sport. J’ai fait le maximum de ce que je pouvais faire. Je ne me reconnais dans l’image d’un homme qui cherche à s’enrichir. Je gagnais trois fois plus qu’un ministre quand j’entrais dans le gouvernement, je l’ai fait pour mon amour du sport. J’ai failli demander à Usain Bolt de venir témoigner sur ma personnalité… »
Le jugement est mis en délibéré au mercredi 16 septembre à 13h30.
Cheikh Sidou SYLLA