Du caractère inepte des Pôles territoriaux de développement (par Pape Sarr)

02 - Mai - 2025

Errare humanum est, perseverare diabolicum a dit l’adage, ce qui signifie que l'erreur est humaine, puisqu’aucune construction humaine n’est à l’abri d’une erreur, mais persévérer dans son erreur est diabolique ». Nous ne pouvons donc pas nous taire quand la marche de construction se dirige vers le mur, au lieu d’être une aubaine de perfectionnement dans notre élan de décentralisation.
Je n’ai aucune intention en écrivant cette contribution de faire dans l’ésotérisme des aménageurs et développeurs de territoires. Je souhaite juste dire les choses sans gants pour apporter une sorte d’alerte dans le gatsa-gatsa d’idées. Et je dis clairement que si nos autorités persistent sur ce chemin de pôles territoriaux de développement autour des 8 pôles proposés, avec ces signaux qui traduisent une hérésie dans l’appréhension des territoires, alors, il y’a un risque fort que tout le travail qui a été fait pour obtenir enfin un plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT) et surtout une loi d’orientation et d’aménagement durable des territoires (LOADT) pour servir de cadre juridique clair, risque de tomber à l’eau.
La longue marche de la décentralisation au Sénégal obéit jusqu’ici à une envie forte de développement de nos territoires en confiant les responsabilités aux élus locaux pour que la proximité avec les administrés permette d’assoir à la fois un cadre circonconscrit et des échelles d’expérimentation des politiques publiques.
La démarche consiste à opérer des divisions et séparer les territoires en plusieurs unités dynamiques, quand les équations anthropiques sont complexes, en gardant une logique de grappes de convergence pour arriver à dégager les règles de fonctionnement des différentes thématiques qui régentent la vie des populations administrées. Tout y passe le domaine, l’environnement et la gestion des ressources naturelles, la santé et l’action sociale, la jeunesse le sport et les loisirs, la planification, la culture, l’urbanisme et l’habitat, l’éducation, la sécurité, l’assainissement, l’eau et l’électricité, les infrastructures de tous ordres, les montagnes, les forêts et même les cours d’eau. Tout cela est organisé autour de compétences savamment organisées par l’État et confiées pour partie (au moins 9 compétences transférées) aux collectivités.
Le soubassement premier de toutes ces superpositions reste le terroir ou le territoire, qui occupe le sol des localités, qui doivent à la fois s’organiser, se contenir, s’allier et parfois jouer d’adversité au gré des besoins des hommes et des politiques de développement. La marche qui a abouti à l’acte trois de la décentralisation a été lente et consolidée entre 1972 et 2000.
Du pouvoir de Senghor, jusqu’à l’avènement de Maître Abdoulaye Wade, en passant bien sûr par la gouvernance de DIOUF, on était juste au deuxième acte de décentralisation de 1996 alors que Maître Wade était bien le troisième président du Sénégal. Cela signifie que l’Etat sous Wade avait bien compris que la décentralisation nécessite un temps de macération et d’exercices pour que les territoires pour lesquels les règles sont prises, aient le temps d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Cela seulement nous a fait dire et écrire que l’avènement de l’acte trois sous Macky SALL n’a pas été fait sous les meilleures auspices parce que la célérité avec laquelle les décisions ont été prises, excluait toute possibilité de pédagogie et d’échanges en direction des populations, sans distinction entre les gouvernants des collectivités et leurs administrés. Il a d’ailleurs fallu tenir les élections locales en 2014 avec les règles de l’acte 2 de 1996 pour ensuite devoir appliquer l’acte 3 qui venait d’être décrété en 2013, parce qu’une fois les équipes municipales élues, il a fallu exercer en mettant en oeuvre la nouvelle loi de communalisation universelle. J’avais alors dit que le gouvernement cherchait à imprimer sa marque, poser son acte vaille que vaille, et que cela était bien plus important que tout le reste. A l’arrivée et malgré la rapidité de l’acte 3, les gens d’abord sceptiques et très critiques à raison, il faut bien le dire, ont fini par comprendre la logique d’une décentralisation plus avancée contenue dans cet acte 3, qui réglait avant tout l’égalité de dignité entre tous les élus communaux et départementaux sur l’ensemble des territoires du pays. Moralité : les meilleures choses sans pédagogie risquent toujours un rejet du peuple.
De fait, même les tergiversations qui ont émaillé par la suite les discussions sur sur les villes n’ont pas perduré, et le code des collectivités qui stipule que la ville est une commune a vite fait de régler et de mettre de l’ordre dans ces atermoiements suspectés de gerrymandering et autres dérobades qui commençaient à germer sous le ministère de monsieur Oumar GUEYE.
On peut trouver à redire mais cette décentralisation et surtout l’excellent travail d’un directeur de l’ANAT aussi brillant que passionné à permis d’élaborer et de proposer un plan national d’aménagement du territoire (PNADT) clair qui permet aujourd’hui de poser des perspectives d’enchevêtrements territoriaux et une prospective à l’échelle de chaque collectivité grâce à la loi d’orientation et d’aménagement durable des territoires. Cette LOADT dessine un cadre juridique logique, tangible, et compréhensible dont la mise en œuvre sur les territoires, permet au préalable de pouvoir les délimiter scientifiquement avec des coordonnées X,Y, Z et surtout de se pencher sur les nombreuses incohérences. Dans ce sillage un descriptif des établissements humains permettant de conforter une logique de territoire et d’ensembles territoriaux dynamiques a été fait et il permet de dégager largement des pôles territoriaux de coopération économique et même des zones spéciales, en prévision de pôles économiques de compétence et d’innovation dans une logique de métropolisation incontournable. Cela rend possible la compréhension du jeu des acteurs et la description des schémas de cohérences territoriaux pour une synergie d’ensemble.
Il y a encore du chemin bien évidemment puisque moins de 30 collectivités sur les 604 que compte le Sénégal sont en règle avec cette LOADT que notre assemblée à fait voter par la loi LOI N°2021-04 DU 12 JANVIER 2021. Les lenteurs sont certainement dues à des problèmes de financement mais surtout à une situation de manque de compétences des ressources humaines pour conduire ces travaux dans nos collectivités.
Mais le chemin est bon, il nécessite une capacitation de nos élus, une volonté de nos états de faire évoluer les actions en faveur de cet acte trois au lieu de vouloir coûte que coûte retenter un acte supplémentaire dans la logique du narcissisme politicien de marquage de notre décentralisation. Cette volonté seule explique qu’on soit dans une subdivision annoncée de pôles territoriaux de développement sans cadre juridique et surtout dont il faudra créer et impulser une dynamique économique inexistante si tant est que nos biotopes de territoires doivent répondre à des découpages écogéographiques dans le stricte respect d’une biocénose économique opérante et impactante. Il n’est point besoin d’un acte IV. Il faut plutôt parfaire l’acte III sauf si ce qui est recherché c’est une signature politique de satisfaction d’une logique existentielle
Trois choses nous confortent dans l’idée que cette déclaration en grande pompe de pôles territoriaux de développement n’est pas structurée.
Le ministre de l’agriculture par le coopératives agricoles communales puis finit dans un glissement de sémantique par théoriser une idée de coopérative communautaire. Il va falloir qu’on sache où il va, puisque les deux concepts ne signifient pas la même chose et que la nuance entre communale et communautaire est béante. Comme les territoires du Sénégal sont des territoires ruraux en majorité, cela touche forcément aux clauses de compétences générales des communes même si la loi NOTRe de France ne nous régit pas. Ce ministre n’est donc pas en phase avec celui des collectivités territoriales pour plus de cohérence d’ensemble et de synergie dans les idées.
Nous avons entendu le député Amadou BA, désormais célèbre et retentissant dans ses propositions de réforme constitutionnelle, proposer que l’État reprenne le contrôle total du foncier pour le confier à l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (ANAT), qui aura pour charge, selon lui, de définir avec précision les différentes vocations des terres (agricoles, industrielles, résidentielles ou forestières) afin d’éviter toute utilisation anarchique. Retirer la gestion du foncier, donc le domaine qui est la première compétence transférée aux collectivités, c’est réduire leur pouvoir et recentraliser alors qu’on parle d’acquis législatifs et constitutionnels, qui sont le fondement et la quintessence même de notre décentralisation
Les 8 pôles tels qu’ils sont listés sont une création clairement artificielle et dépourvue de toute logique de dynamisme d’un bassin de vie pertinent qui a le don de remettre en question le statut réel des territoires compris dans ces nouveau périmètres sans qu’on puisse nous dire si on recrée de nouvelles communes pour faire exister des communes-communauté (les envolées hérétiques du ministre Mabouba DIAGNE sur la coopérative communale devenue coopérative communautaire nous forcent à le croire) ou si c’est seulement une volonté de création de communautés de communes qui seraient plutôt des établissements publics de coopérations intercommunales (EPCI) à la française ou quelque chose qui s’en apparenterait. On nage entre déconcentration et décentralisation sans explication sérieuse.
J’ai lu quelque part un texte bien fouillé d’un auteur que je connais suffisamment pour voir son caractère transparaître dans cette contribution diplomatique et louvoyante rappelant aux autorités toutes les insuffisances des pôles territoires et appelant à une marche lente non sans magnifier l’agenda de transformation systémique qui pointe l’horizon de développement en 2050. Dire Oui alors qu’on pense Non ou dire Oui et Non dans un même discours et pour la même chose, c’est éprouver une certaine peur que même l’outrecuidance de cet auteur complaisant n’a pas permis de masquer. Son texte dit pourtant des choses claires et concises et explique allégrement que cette histoire de pôles territoires est très mal pensée et surtout très mal ficelée. Nos territoires vont encore passer des années de gâchis et de cafouillage alors qu’il faut simplement pousser plus loin ce qui s’est fait jusqu’ici au lieu de tout dénaturer. Les compétences transférées méritent de la redéfinition pour que les enchevêtrements entre communes et départements se fassent sans conflits de prérogatives et d’attributions. De même, il faut pousser l’esprit de la métropolisation en faisant en sorte que les métropoles d’équilibre ne sombrent pas. Il faut apprendre des blocages en France puisque c’est bien notre modèle même si on théorise ça et là « France dégage ».
Ce pays est devenu un piège pour intellectuels et il faut beaucoup de courage pour taper sur les idées bloquantes et proposer une vision de développement réalisable. La durabilité et les performances pour le développement sont à ce prix. Ce n’est pas simplement une histoire de politique mais une histoire de vie de nos territoires et de leur développement. Cela doit impliquer tout le monde quelque soit l’obédience politique et aucune peur d’être mal vu ne doit commander la vérité scientifique. L’urbanisme, l’aménagement et le développement du territoire sont des sciences qui ne doivent pas s’accommoder de courbettes indues ou de flagornerie. Nous sommes tous interpellés, l’avenir de ce pays en dépend et tout le monde doit y être convié.
Pape SARR
Duc de Diapal

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