Guinée : la veuve de l'ex-dictateur Sékou Touré sort du silence

15 - Mai - 2025

À 91 ans, la veuve du premier président guinéen vit à la case de Bellevue, qui lui a été restituée en 2021 par Mamadi Doumbouya. Si elle parle peu de sa vie au Palais et de sa détention en prison, ses souvenirs des années au pouvoir de son époux sont intacts.

Comment a-t-elle rencontré son mari ? Quel âge avait-elle lorsqu’ils se sont mariés ? À ces questions, Andrée Touré répond invariablement : « Je ne m’en souviens plus » ou « Vous me demandez beaucoup de choses ». L’indépendance de la Guinée ? « J’ai quelques souvenirs », acquiesce enfin la nonagénaire, qui devient subitement plus loquace. « Quand le général de Gaulle est venu en Guinée, il a proposé que nous scellions la communauté française », se remémore-t-elle.

Le président Sékou Touré, qui n’était pas de cet avis, lui a dit : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. » Cela a choqué le dirigeant français, qui lui a répondu : « On a parlé d’indépendance, et je dis qu’ici plus qu’ailleurs, elle est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre en disant non à la proposition qui lui est faite. Et dans ces conditions, la France n’y sera pas opposée. Elle en tirera les conséquences et la Guinée pourra poursuivre sur la voie qu’elle désire. »

Ces échanges musclés entre Ahmed Sékou Touré et Charles de Gaulle, le 25 août 1958 à Conakry, qui scelleront le destin du pays, lequel reprendra un mois plus tard sa liberté, Andrée Touré les connaît par cœur. Au cours du très bref entretien – onze minutes – qu’elle nous a accordé, l’ex-Première dame, les a évoqués à plusieurs reprises. Si, à l’entendre, son passé personnel demeure plus flou dans sa mémoire – ou peut-être a-t-elle jeté dessus un voile pudique –, ses souvenirs des années au pouvoir de son époux demeurent intacts.

Fille d’un médecin militaire français
Dans sa vaste demeure située au nord de Conakry, longeant l’océan Atlantique, confisquée après le changement de régime en 1984 et récemment restituée par la junte de Mamadi Doumbouya, Andrée Touré occupe l’une des trois cases de Bellevue. C’est ici qu’elle avait installé son mari, lorsque celui-ci a eu un malaise à la présidence, un soir de mars 1984. Transporté dans une clinique de Cleveland, aux États-Unis, à bord d’un avion médicalisé affrété par le Roi Fahd d’Arabie saoudite, Sékou Touré ne se réveillera pas de son opération du cœur.

Sous Lansana Conté et Alpha Condé, la résidence présidentielle avait été baptisée Villa des hôtes et accueillait des événements officiels. Jusque-là, Andrée Touré vivait à la villa Syli, une modeste maison du quartier Coléah, au sud de la capitale. Son environnement a donc bien changé. Grands arbres, oiseaux de basse-cour, vigiles… La veuve de Sékou Touré est revenue dans les bonnes grâces. Son fils Mohamed, condamné et incarcéré aux États-Unis avec son épouse pour esclavage en 2019, a été libéré en février dernier et a regagné la Guinée… « grâce à Mamadi Doumbouya », assure la famille. Le président de la transition a également renommé l’aéroport du nom de l’ancien chef de l’État, en 2021. Et bien qu’il ait récupéré la tête du parti, le Parti démocratique de Guinée (PDG) hérité de son père, Mohamed cultive la discrétion.

Andrée Touré est née à Macenta, en Guinée-Forestière, en 1934, de Paul-Marie Duplantier, médecin militaire français et d’une Guinéenne, Kaïssa Kourouma. « Mes parents se sont mariés selon notre coutume. Ils habitaient au camp militaire de la ville. Mon père a dû quitter ma mère peu après ma naissance. Ils ne se sont plus jamais revus et je fus élevée dans ma famille maternelle », raconte Andrée Touré dans Ma vie auprès d’Ahmed Sékou Touré (L’Harmattan, 2023), une autobiographie préfacée par l’ancien directeur général de l’Unesco, le Sénégalais Amadou Mahtar Mbow.

Elle n’a donc pas connu son père, cet « homme de bien », selon ce que lui ont rapporté ceux qui l’ont côtoyé, comme sa marraine et son parrain, les Rouvin. Ce couple de fonctionnaires des Eaux et Forêts aménagea la pinède de Dalaba, en Moyenne-Guinée, ville réputée pour son climat doux, au point d’être surnommée la « Suisse d’Afrique ». Après leur retraite, ils ouvrirent une scierie à Nzérékoré, en Guinée-Forestière. De son côté, Paul-Marie Duplantier fit plusieurs gestes en faveur de sa famille restée en Guinée : une case « spacieuse » et des bijoux en or laissés à la jeune maman, ainsi qu’une pension alimentaire payée durant un « certain temps ».

Musulmane, aînée d’une fratrie nombreuse
Andrée Touré aura sept frères et sœurs, l’une issue du premier remariage de sa mère avec un agronome de Pita (région de Fouta-Djalon), Maadjou Bah, décédé de manière précoce, les autres de l’union avec un commis expéditionnaire, Sory Keïta, originaire de la Haute-Guinée. Forte de ce brassage, l’enfant de Guinée-Forestière s’est établie en Basse-Guinée et s’enorgueillit d’être une Guinéenne à part entière. « Je me suis bien occupée de mes frères et sœurs, nous étions très unis », confie la veuve de Sékou Touré à Jeune Afrique, tout en égrenant son chapelet.

En cet après-midi de mars, cette musulmane pratiquante vient de terminer sa prière d’Asr. Peu avant, elle a reçu des visiteurs venus s’enquérir de son état de santé. Parmi eux, l’ancien ministre et leader politique, Bah Ousmane. Fatou Alaby, la mère de ce dernier, fut une proche amie d’enfance d’Andrée Touré. Toutes deux ont fait ensemble le pèlerinage à La Mecque, en 1977, en compagnie du Premier ministre d’alors, Lansana Béavogui.

Fatou Alaby fut d’ailleurs gouvernante, sous Sékou Touré, au Palais du peuple de Conakry. Cela n’a néanmoins pas empêché son mari, par ailleurs membre du bureau fédéral de Conakry II du PDG, d’être incarcéré durant un an au camp Boiro, au lendemain de l’agression portugaise de 1970. Les relations des deux amies, considérées comme des jumelles lors de leurs années d’écolières à Pita, se sont progressivement distendues, jusqu’à la mort de Fatou Alaby en 2017.

Après avoir intégré l’orphelinat des métisses de Kankan, la jeune Andrée entre, en 1947-1948, au collège des jeunes filles de Conakry. À l’époque, une grève des cheminots la contraint à rallier la capitale guinéenne à bord d’un camion gazogène, écrit-elle dans son livre.

C’est à Conakry qu’elle rencontre pour la première fois son futur mari, au début des années 1950. C’était la veille des grandes vacances scolaires, par hasard, à cause d’une averse. « En passant devant une maison, deux jeunes hommes qui se tenaient à une fenêtre nous hélèrent et nous proposèrent de venir nous abriter chez eux, explique-t-elle dans son ouvrage. […] Dès que nous eûmes franchi la porte, nos hôtes nous apportèrent des serviettes pour nous essuyer et nous offrir du lait chaud. Ils se présentèrent : l’un s’appelait Madeira Keita et l’autre, Sékou Touré. C’était la première fois que nous nous voyions, et c’est ainsi que nos chemins se sont croisés. »

Andrée décrit Sékou Touré comme un « fort séduisant jeune homme, très courtisé par la gent féminine » de l’époque. Ils se reverront à Kankan, se découvriront des liens de parenté par alliance et s’y marieront le 18 juin 1953 à la mosquée, bravant le refus de l’administration coloniale de célébrer leur union en raison des revendications syndicales du marié.

À la mort de Sékou Touré en 1984, après qu’il eut dirigé la Guinée d’une main de fer pendant vingt-six ans, sa famille fut l’objet de représailles. Une semaine après l’inhumation de son époux, Andrée Touré et ses enfants, Aminata et Mohamed sont arrêtés et emprisonnés. L’ex-première dame, condamnée en 1987 à huit ans de travaux forcés, fut libérée l’année suivante. « On m’avait enlevé toutes mes affaires, confie-t-elle à Jeune Afrique. Je ne possédais plus rien. Mais, nous avions quelque chose : nos convictions. »

Jeune Afrique

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