LA DERIVE DU SENEGAL, NOUVELLE SOURCE D’INQUIETUDE POUR L’AFRIQUE DE L’OUEST (EDITO DU MONDE)

08 - Août - 2023

La décision du président Macky Sall de dissoudre le parti de son principal opposant, Ousmane Sonko, apparaît comme un des signes du raidissement du pays, qui se revendique pourtant comme un modèle démocratique.

Alors que la multiplication des coups d’Etat militaires en Afrique de l’Ouest ébranle les fragiles édifices démocratiques issus de la décolonisation, la décision du président sénégalais, Macky Sall, annoncée le 3 juillet, de ne pas briguer un troisième mandat lors de l’élection présidentielle de février 2024, avait résonné comme un soulagement et un signe de responsabilité politique. Un mois plus tard, M. Sall risque de compromettre le capital de sympathie qu’il s’était alors acquis, en prenant une mesure grave, rarissime dans son pays : la dissolution par décret, le 31 juillet, du parti de son principal opposant, Ousmane Sonko.

Ce dernier est loin d’être à l’abri des critiques. Ancien inspecteur des impôts passé maître dans la dénonciation de la « corruption » des élites « vendues aux intérêts étrangers », il s’est acquis une popularité en surfant sur un discours nationaliste et traditionaliste aux accents anti-Français et anti-homosexuels. M. Sonko, condamné le 1er juin à deux ans de prison ferme dans une affaire où il était accusé de viol, avait appelé les Sénégalais à « se défendre par tous les moyens et à riposter », déclenchant des émeutes meurtrières, les plus graves depuis des années. Il a toujours justifié ses exhortations à la révolte par le « harcèlement judiciaire » dont il estime faire l’objet.

Arrêté et écroué le 28 juillet dans une autre procédure, sous l’inculpation de plusieurs crimes dont l’« appel à l’insurrection » et l’« atteinte à la sûreté de l’Etat », Ousmane Sonko a vu sa formation politique, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) dissoute quatre jours plus tard. Une série de charges qui, s’ajoutant à des condamnations déjà prononcées, compromettent gravement sa candidature à la présidentielle de 2024, où il devait compter parmi les principaux opposants au camp du chef de l’Etat sortant.

Diviser l’opposition
L’utilisation de la justice et d’instruments législatifs dans le combat politique est une constante de la vie publique sénégalaise. La coïncidence entre l’incarcération de M. Sonko et le vote par les députés sénégalais, samedi 5 août, d’une disposition rendant leur éligibilité à Karim Wade et Khalifa Sall, deux figures de l’opposition longtemps interdites de candidature à la présidentielle du fait de condamnations pénales, nourrit ce soupçon. Si le président Macky Sall a fini par se retirer de la course, il ne semble pas avoir renoncé à diviser l’opposition et à choisir ceux qui affronteront son camp.

La rocambolesque arrestation en Mauritanie de l’avocat Juan Branco, connu pour ses provocations et qui participe à la défense d’Ousmane Sonko, les accusations portées contre lui à Dakar pour « attentat » et « complot » avant son expulsion vers la France, apparaissent comme d’autres signes du raidissement en cours au Sénégal.

Pareille dérive est inquiétante pour un pays qui se présente volontiers comme un exemple de démocratie. Alors que, du Mali au Burkina Faso en passant par la Guinée et désormais le Niger, des militaires écrasent toute idée de participation populaire, les Etats qui s’en réclament n’ont pas la tâche facile. Mais comment ces pays pourraient-ils résister aux tendances totalitaires à l’œuvre sans accepter les innombrables débats − sur les inégalités, la corruption, et aussi sur leurs relations avec la France − qui agitent leurs populations ? Pour toute l’Afrique de l’Ouest, ce qui est en jeu au Sénégal est lourd : rien de moins que la supériorité de la démocratie sur tout autre régime.

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

27 - Décembre - 2024

Sonko annonce l'abrogation de la loi d'amnistie de Macky Sall

Le Premier ministre, Ousmane Sonko, a fait face ce vendredi 27 décembre aux parlementaires pour prononcer sa déclaration de politique générale. Cet exercice,...

27 - Décembre - 2024

54 milliards pour la Casamance : Ousmane Sonko donne les détails du plan "DIOMAYE"

Dans le cadre de sa déclaration de politique générale ce vendredi 27 décembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé une initiative majeure...

27 - Décembre - 2024

DPG: LES SEPT RUPTURES ANNONCEES PAR LE PM

E xtrait de la DPG du Premier ministre, Ousmane Sonko. Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Honorables Députés, L’état des lieux...

27 - Décembre - 2024

DPG : LE PM ANNONCE LA « REINSTAURATION DU DISPOSITIF DE CONTROLE ET DE TAXATIONS DES APPELS ENTRANTS SUPPRIME EN 2012 »

Par ailleurs, nous procéderons à la réinstauration du dispositif de contrôle et de taxations des appels entrants supprimé en 2012, juste quelques mois...

26 - Décembre - 2024

Le Conseil constitutionnel incompétent : La dernière carte que Barthélémy Dias va jouer

Barthélémy Dias ne compte pas en rester là. Débouté par le Conseil constitutionnel qui s’est dit incompétent suite à son recours contre son...