PLAIDOYER POUR LA PROTECTION DE LA DEMOCRATIE SENEGALAISE (PAR JEAN TOUDIE GBOHOU – THIERNO MADJOU BAH)

13 - Mars - 2024

Ces prochaines lignes sur la crise institutionnelle et démocratique au Sénégal, osons le mot, n'ont aucune prétention à l'analyse politique, encore moins à l'analyse juridico-politique. Elles se veulent simplement le regard extérieur et bienveillant de deux enfants du continent, soucieux du destin de ce dernier.
Le Sénégal, pays jouissant jusqu'à maintenant d'une relative aura de stabilité, a vu sa démocratie vaciller au lendemain de l'annonce le 03 février 2024 par le président de la République Macky Sall du report sine die de l'élection présidentielle prévue le 25 février 2024.
Comme disait en substance Roman Jakobson, les mots ont un pouvoir, la démonstration a été faite lors de cette allocution – la simple prononciation du mot « report » à plonger le Sénégal dans un chaos menant le pays vers le « précipice », de facto dans une instabilité à tout point de vue.
Convient-il de le préciser et d’inviter les acteurs politiques panafricains à le garder à l'esprit, cette crise politique sénégalaise témoigne de la force du langage, instrument de stabilité ou d’instabilité démocratique. En effet, au lieu et place de l’attente légitime des sénégalais à un scrutin digne de leur tradition démocratique, certains mots, tel « report » était sur le point de faire basculer la destinée de tout un pays.

L'absence de conflits armés, caractéristique de la démocratie sénégalaise

Un brin d'histoire me semble nécessaire, afin de montrer l'exceptionnalité des événements qui surviennent aujourd'hui au Sénégal. Ce pays acquiert son indépendance en 1960 dans ce qu'on peut appeler « la vague de 1960 » des indépendances en Afrique, particulièrement en Afrique de l'Ouest. Cette indépendance négociée avec le colonisateur Français s’est faite sans heurt.
Le Sénégal fit alors dirigé par le président Léopold Sédar Senghor de 1960 à 1980. Si le terme « démocratique » ne paraît pas être le bon qualificatif du règne de Monsieur Senghor, il faut noter pour autant que le pays jouissait d'une paix et d’une stabilité, conditions sine qua non vers le progrès, assurément !
Les décennies qui ont suivi marquèrent l'avènement d'un modèle s'ouvrant au pluralisme. Ainsi, les mandatures (1981-2000) de Monsieur Abdou Diouf furent non seulement portées par des élections bien « plus disputées », mais également marquées par une volonté d'apporter un cadre structurant favorisant l'essor du jeu démocratique. Puis, succéda les mandatures de Monsieur Wade (2000-2012), qui sût se mettre en retrait à la suite de son échec aux élections de 2012 (face à Macky Sall), non sans avoir montré des velléités de se maintenir au pouvoir ; la démocratie Sénégalaise en fut grande gagnante.
Entre temps, les dispositions de la loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 dans son article 27 sont venues limiter l'exercice du mandat présidentiel ; mandature d'une durée de 7 ans.
De Senghor à Macky Sall, le Sénégal a connu en tout quatre présidents. Dire que la vie politique de ce pays fut un long fleuve tranquille ne peut résulter que d’une vision et analyse approximative et périphérique. Mais force est de constater que, ce pays n'a jamais connu de conflits armés, fait notable au regard des nombreux conflits qui ont émaillés les pays de la sous-région depuis 1960.
C'est à ce fait d'exception, ce génie sénégalais que s'attaque Macky Sall (par erreur certainement ou mal conseillé par une partie du palais qui a perdu la boussole démocratique), car, nul président, après l'ère Senghor, n'a repoussé aussi loin les limites de la démocratie sénégalaise : autoritarisme exacerbé ; confiscation du pouvoir ; violences répétées envers la société civile, emprisonnement d'opposants ; report des élections etc. Une démocratie qui a su, au fil des décennies, se construire des garde-fous.

Un nouveau cadre démocratique à redessiner

Dès lors la situation, inédite par son ampleur, et par sa déstabilisation des institutions ainsi que de la société civile, ne doit pas être minimisée.
Si l'histoire fait dates, des dates fondent les démocraties. Ainsi, les acteurs de la société civile sénégalaise doivent œuvrer afin que la date du 03 février 2024 (10H avant l’ouverture de la campagne électorale) puisse demeurer dans l'histoire sénégalaise comme l'an zéro du renouveau démocratique. Dans cette veine, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 février 2024 censurant le décret abrogeant la convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle qui était initialement prévue le 25 février 2024 redonne de la vitalité à la démocratie sénégalaise.
Dans cette entreprise salvatrice, il est nécessaire de ne jamais oublier que la démocratie est un processus, qui se présente comme une remise en question permanente. Et qu'à cette fin, l'enjeu n'est pas d'interdire la remise en question, mais bien de créer les conditions d'un cadre structurant qui permettra à cette remise en question de faire avancer positivement la société dans son ensemble. Ce projet doit fédérer les esprits de bonne volonté. Le Sénégal haut lieu intellectuel de l'Afrique de l'Ouest en est assurément doté !
Également, ne pas oublier que la démocratie extirpée de son carcan institutionnel et théorique est surtout une affaire de cœur, donc de conviction intime. Le cœur des hommes et des femmes battant à l'unisson cherchant un moyen de se construire un avenir meilleur. Un cœur qui, malgré la lucidité des divergences ne rechigne jamais à vouloir vivre, à échanger avec l'autre.
Enfin, un cœur qui trace le chemin des possibles pour les générations futures, les rendant fières de l'héritage laissé par les générations antérieures, surtout les Pères fondateurs. C'est le souhait que nous formulons pour le Sénégal !
L'esprit éclairé comprendra qu'il se joue au Sénégal bien plus que le destin d'un pays, car il est dans la nature de l'homme, qu'il s'inspire des meilleurs. Gageons donc que l'issue soit la meilleure possible pour le Sénégal, afin qu'elle puisse inspirer le continent africain.

Jean Toudié GBOHOU –                Thierno Madjou BAH
Cadre du secteur public                Gérant d’une agence immobilière

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