LE SENEGAL FACE A LA PRESIDENTIELLE LA PLUS INCERTAINE DE SON HISTOIRE

22 - Mars - 2024

Le scrutin de dimanche est organisé dans une ambiance tendue après avoir été reporté par le pouvoir, suscitant des manifestations violemment réprimées et nourrissant la défiance de l’opposition.
Dimanche 24 mars, les Sénégalais voteront lors du premier tour de la présidentielle. Les électeurs auront le choix entre 17 candidats, après le retrait de deux prétendants. Tous ont fait campagne brièvement, mais dans le calme. Le président Macky Sall, après deux mandats et douze années de pouvoir, ne se représente pas, comme l’exige la limite imposée par la Constitution. Dans les jours à venir, le pays va donc connaître sa troisième alternance démocratique depuis l’indépendance, un bilan rare en Afrique de l’Ouest.
Ainsi peint, le tableau donne l’image d’un Sénégal serein et tranquille, désormais bien campé dans une tradition démocratique. L’apparence est trompeuse. Car ce vote est plutôt l’issue pour l’instant apaisée d’un processus marqué par les tensions, des manifestations durement réprimées, les tentations de manipulation des institutions et un populisme effréné. Au Sénégal, ces délivrances dans la douleur sont une sorte de tradition depuis l’élection d’Abdoulaye Wade en 2000. Mais ce scrutin restera dans les esprits comme exceptionnellement dur et capital pour le futur du pays. La véritable incertitude sur le nom du vainqueur et les violences de ces derniers mois font que la paix civile n’est pas encore totalement assurée. Le Sénégal attend encore.
«Pression populaire»
La faute en incombe en premier lieu à Macky Sall. Après sa réélection en 2019, le président s’est longtemps refusé à affirmer qu’il ne ferait pas de troisième mandat. Au contraire, des années durant, il a entretenu l’ambiguïté, son entourage s’ingéniant à rappeler que, d’après eux, la Constitution autorisait une prolongation. Alors que ces troisièmes mandats, interdits par les Constitutions, sont devenus des symboles de l’accaparement du pouvoir en Afrique de l’Ouest, ces atermoiements ont exacerbé les tensions. En réponse, Macky Sall a repoussé sans cesse le moment de se prononcer. L’opposition, à commencer par Ousmane Sonko, a fait de cette tentation son argument favori, assurant lutter contre une dictature. Pendant des mois, des années, la polémique va faire rage. En juillet dernier, Macky Sall finit par céder et annonce publiquement renoncer à se présenter.

Il assure n’y avoir jamais pensé, ce qui fait sourire. «Il est certain ou presque que Macky Sall rêvait de rester au pouvoir. C’est la pression populaire qui l’a contraint à changer d’avis», analyse Gilles Yabi, président de Wathi, un centre de réflexion sénégalais. La rue a en effet grondé en juin après la condamnation à deux ans de prison d’Ousmane Sonko, leader du Pastef. La répression a fait une trentaine de morts, chose rare à Dakar. Les diplomates se sont inquiétés ouvertement. Paris a «appelé au calme» et Washington s’est dit «préoccupé». Les analystes évoquaient un Dakar au bord de l’explosion, les supporteurs de Sonko étant nombreux parmi les plus jeunes et les plus démunis. La déclaration de non-candidature du président va crever l’abcès. Le calme revient au point que l’incarcération d’Ousmane Sonko peut sembler acceptée.
Paradoxalement, Amadou Ba n’est pas un proche du président. La presse sénégalaise regorge de témoignages rappelant la méfiance de Macky Sall envers lui
L’entourage présidentiel y a-t-il vu une ouverture pour relancer entièrement le processus électoral, voire l’hypothèse d’un maintien au pouvoir de Macky Sall en annulant sine die le scrutin à trois semaines du vote? Certains le pensent. Car, dans le même temps, Amadou Ba, le candidat de la coalition majoritaire, le dauphin désigné, peine à s’imposer. Des rumeurs affirment que son remplacement est sérieusement envisagé. Amadou Ba a beau être premier ministre, il n’a jamais fait l’unanimité. Sa désignation, alors que, pour la première fois dans l’histoire du pays, le président sortant ne se représente pas, a même créé de fortes divisions. Plusieurs ténors ont préféré claquer la porte, tandis que d’autres, parfois très proches de Macky Sall, ne cachaient pas leurs critiques.

La jeunesse se mobilise pour les candidats antisystème
Paradoxalement, Amadou Ba n’est en effet pas un proche du président. La presse sénégalaise regorge de témoignages rappelant la méfiance de Macky Sall envers lui. Elle remonterait à des années quand l’ancien haut fonctionnaire, un temps directeur des impôts et des domaines, fut appelé au gouvernement comme ministre des Finances. Il s’y était forgé une réputation de compétence et des réseaux efficaces qui finirent par agacer au palais présidentiel. Brièvement nommé aux Affaires étrangères, il fut finalement limogé avant d’être finalement rappelé, à la surprise générale, comme premier ministre dix-huit mois plus tard. Et ce n’est pas non plus sa personnalité qui a poussé Macky Sall à le choisir. S’il est un technocrate madré et expérimenté, son charisme est moins évident.

Posé jusqu’à la discrétion en public, peu enclin aux polémiques, il a laissé dire les critiques, celles de son camp comme celles de l’opposition. Au final, sa candidature donne l’impression de patiner. Les sondages étant interdits au Sénégal en période électorale, Amadou Ba et son camp peuvent toutefois continuer d’affirmer pouvoir gagner dès le premier tour. Dans le camp d’Ousmane Sonko aussi, on se dit certain d’une victoire, là encore dès le soir du 24 mars. La dynamique est cette fois de leur côté. Dans Dakar, la jeunesse se mobilise pour ces candidats antisystème. L’impossibilité légale pour Ousmane Sonko de se présenter ne semble pas avoir trop de conséquences. Sa notoriété profite à son remplaçant, Bassirou Diomaye Faye, inconnu il y a peu.

« Il faut se méfier du prisme déformant de Dakar. Les campagnes votent souvent de manière différente et se montrent plus légitimistes »Un unviersitaire
«Ce n’est pas très étonnant. Au Sénégal, l’opposition se nourrit surtout de l’impopularité de l’exécutif. Et Macky Sall est impopulaire », explique Gilles Yabi. Pour autant, l’ex-Pastef - il a été interdit en juillet- n’a pas partie gagnée. «Il faut se méfier du prisme déformant de Dakar. Les campagnes votent souvent de manière différente et se montrent plus légitimistes», rappelle un universitaire. Il souligne également que la composition des listes électorales, où les jeunes sont proportionnellement moins représentés, ne plaide pas pour l’opposition. «Les résultats seront sans doute serrés», dit Gilles Yabi qui s’attend, comme beaucoup d’autres analystes, à «un second tour», tout en restant «très prudent». Ce scrutin, déjà le plus ouvert de l’histoire du pays, est, il est vrai, aussi le plus surprenant.

Le Figaro

 

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