Meeting de PASTEF : entre démonstration de force et fragilité du discours politique (Par Amadou Sylla)
Le meeting organisé par le parti PASTEF et son leader, Ousmane Sonko, a sans doute marqué un tournant dans le paysage politique sénégalais récent. Par l’ampleur de la mobilisation, il a prouvé que le chef du gouvernement demeure une figure capable de galvaniser ses partisans et de susciter une ferveur populaire impressionnante.
Près de 120 000 personnes, venues des quatorze régions du pays, ont convergé vers le lieu du rassemblement : une marée humaine, symbole d’un ancrage national incontestable.
▪️ Une démonstration de force incontestable
Dans un contexte où la scène politique sénégalaise cherche encore ses repères après l’alternance, cette mobilisation massive traduit une réalité : le mouvement PASTEF reste profondément enraciné dans le tissu social sénégalais, notamment auprès d’une jeunesse en quête d’espérance et de reconnaissance.
Cette capacité à mobiliser témoigne d’un lien affectif fort entre le leader et sa base. Elle prouve également la vigueur d’un parti qui, malgré les turbulences et les épreuves récentes, n’a rien perdu de sa puissance d’attraction.
Mais en politique, la force du nombre ne garantit pas la victoire de l’esprit. Car si le meeting fut un succès logistique et populaire, il n’a pas pour autant convaincu sur le fond.
▪️ La bataille de l’opinion : un terrain encore incertain
La bataille de la mobilisation est une étape. Celle de l’opinion, en revanche, est la plus décisive.
Or, la tribune de Sonko a davantage été marquée par des attaques contre la justice, des dénonciations répétitives d’institutions ou de rapports d’audit, que par une vision claire et apaisée de la gouvernance.
En s’en prenant de manière directe à l’institution judiciaire, le chef du gouvernement semble ignorer qu’il fragilise l’un des piliers essentiels de la République. Car dans un État de droit, la séparation des pouvoirs est la garantie première de la démocratie et de la stabilité.
Le peuple attendait un discours d’avenir : un cap, une feuille de route, un souffle d’espérance dans un contexte de cherté de la vie, de tensions sociales, et d’inquiétudes économiques. Il n’a eu, en grande partie, qu’un plaidoyer défensif et polémique.
▪️ L’exercice du pouvoir et la responsabilité du discours
Le pouvoir politique ne se résume pas à la capacité de mobiliser ou à l’art de dénoncer. Il repose avant tout sur la responsabilité de gouverner et la lucidité d’incarner une vision collective.
L’homme d’État ne parle pas seulement à ses partisans ; il s’adresse à toute la Nation.
Sonko, désormais Premier ministre, n’est plus le chef d’un mouvement d’opposition ; il est l’un des principaux garants de la stabilité institutionnelle du pays.
Or, la posture adoptée lors de ce meeting semble encore celle d’un homme en campagne, plus préoccupé par la rhétorique de confrontation que par la pédagogie politique nécessaire à l’exercice du pouvoir.
▪️ Entre ferveur populaire et exigence de gouvernance
Le peuple sénégalais, dans sa maturité, distingue de plus en plus la ferveur émotionnelle de la solidité des politiques publiques.
L’histoire récente montre que les grandes foules, aussi impressionnantes soient-elles, ne suffisent pas à consolider une légitimité politique durable.
Nous avons en mémoire de grandes figures politiques comme Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Landing Savané, et plus récemment Macky Sall, tous portés à un moment par de vastes mobilisations populaires, mais confrontés ensuite à la complexité de la gouvernance et à l’épreuve du temps.
Les Sénégalais aspirent aujourd’hui à des réponses concrètes, à une gestion responsable, et à une justice équitable — loin des discours de rupture perpétuelle et des tensions institutionnelles.
▪️ En conclusion
Oui, Ousmane Sonko a gagné le pari de la mobilisation.
Mais il n’a pas encore gagné la bataille de l’opinion, celle qui s’appuie sur la raison, la confiance et la clarté du projet.
Or, c’est cette bataille-là, plus que celle des foules, qui façonnera le destin politique du pays dans les mois et années à venir.