Révolution d’octobre 1917 et perspectives de la question paysanne au Sénégal

05 - Février - 2018

A la conférence de l’éminent Professeur Samir Amin à Dakar dans les locaux de L’Harmattan Sénégal sur Un siècle après la révolution d’octobre 1917 : promesses et expériences du socialisme. Cette conférence a été organisée par le Comité sénégalais pour la Commémoration du Centenaire de la révolution d’octobre 1917. Professeur Amin a accentué son intervention sur la portée de la révolution d’octobre 1917 pour le monde, en particulier pour l’Afrique. Alors, il a parlé beaucoup de choses intéressantes. Mais, en tant que Chercheur sur les questions agricoles, la partie qui m’a le plus interpelé est de réfléchir à la manière d’associer les masses populaires aux révolutions, en particulier les masses paysannes.

Professeur Amin a indiqué que les expériences soviétiques ont inspiré la Chine de Mao. Compte tenu des besoins de l’époque et les visions futures qui prévalaient (et peut-être encore aujourd’hui), il y a eu un consensus sur la nécessité de transformer l’agriculture paysanne et familiale en agriculture industrielle. Mais, la forme que cela devait prendre restait à définir : coopératives privées ou coopératives d’Etat ? En Union soviétique, le décret de Lénine sur la terre adopté le 26 octobre 1917 a entériné l’accès à la terre des paysans qui l’avaient déjà prise des mains des anciens aristocrates grâce à la révolution d’octobre 1917. La politique de la collectivisation du système agricole soviétique s’en est suivie avec les kolkhozes et les sovkhozes. En Chine, Mao a préféré la propriété d’Etat de la terre tout en permettant l’accès des paysans à la terre pour développer l’agriculture familiale. Ceci, non seulement pour mieux vivre mais aussi pour réduire l’exode rural au besoin d’une main d’œuvre industrielle en ville. D’après le conférencier, c’est à ce niveau qu’il existe des leçons pour l’Afrique sur la question des masses paysannes. Il ne s’agit pas de reproduire ces expériences sur le continent africain mais de s’en inspirer pour mettre en place des réformes progressistes, novateurs et qui collent aux réalités africaines.

Aux indépendances, la majorité paysanne africaine s’est trouvée organisée par des coutumes déformées ou détruites par la colonisation. Ce qui a conduit à la disparition des régimes communautaires. J’ai été de nouveau interpelé quand le conférencier a évoqué l’exemple du Sénégal sous Senghor qui, méfiant d’une privatisation rapide des terres agricoles, a instauré la loi n°64-46 du 17 juin 1964 sur le Domaine national. Donc, si on devrait tirer les leçons de la révolution d’octobre 1917 sur la question paysanne, il devient pertinent de souligner que le phénomène de « land grabbing » ou d’accaparement des terres qu’on observe un peu partout dans les pays en développement (surtout en Afrique) est en déphasage avec la sécurisation de l’accès des paysans à la terre agricole. Pour le cas du Sénégal, les exemples de Fanaye (Saint-Louis) et de Nétéboulou (Tambacounda) où des milliers d’hectares sont octroyés à des multinationales marquées par l’idéologie capitaliste au détriment des populations locales c’est-à-dire les masses paysannes qui pratiquent l’agriculture familiale. Récemment une forte opposition populaire au projet rizicole initié à Dodel et Némette (Saint-Louis) par un groupe marocain aurait amené le président de la République à annuler l’octroi d’une concession de 10 000 hectares en décembre 2017.

Pour finir, tout ceci indique que cette question foncière est toujours d’actualité au Sénégal et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour ne pas faire table rase des enseignements de la révolution d’octobre 1917 sur la question des masses paysannes. En effet, depuis octobre 2012, la Commission nationale de réforme foncière a travaillé, comme son nom l’indique, sur une proposition de réforme du foncier au Sénégal dans le but de « trouver un équilibre consistant entre la satisfaction des intérêts du capital, la sauvegarde du patrimoine que constitue la terre, et la préservation des intérêts des populations locales, à travers l’agriculture familiale ». Elle a rendu ses conclusions au président de la République depuis avril 2017. Mais, il semblerait que ce dernier n’adhère pas aux conclusions de la CNRF. Donc, la réforme foncière est au point mort. Wait and see !

--
Sidy TOUNKARA
Docteur en Sociologie de l'environnement
Master en Gestion sociale de l'environnement
et Valorisation des ressources territoriales
Diplômé de l'Université de Toulouse et
du Centre universitaire de formation et de recherche d'Albi

Mail : tounkarasidy@gmail.com

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

18 - Décembre - 2019

UN NOUVEAU SCANDALE ECLABOUSSE LA DER

La Délégation à l’entrepreneuriat rapide (Der) n’en finit pas de faire parler d’elle. Au-delà des sommes faramineuses dégagées pour le...

17 - Décembre - 2019

Coût de l’électricité : La SIE-Uemoa 2019-2023 adopte l’accès universel et durable à des services de l’électricité à moindre coût

Piloté par l’Institut de la francophonie et du développement durable, l’atelier de présentation des résultats du Système d’information...

16 - Décembre - 2019

TOURISME EN CASAMANCE: L'AÉRODROME DU CAP-SKRING SERA TRANSFORMÉ EN UN AÉROPORT INTERNATIONAL POUR CAPTER LES TOURISTES EN PROVENANCE DE L'EUROPE

L'aérodrome du Cap-Skring sera transformé en un aéroport international pour développer le tourisme en Casamance et notamment capter une clientèle en Europe....

16 - Décembre - 2019

EFFECTIVITE DE L’ ECO EN 2020 : LE PROFESSEUR KASSE N’Y CROIT PAS

L’effectivité de la monnaie ‘’ECO’’ pour la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) dès 2020 est tout...

13 - Décembre - 2019

DISTINCTION : LE DIRECTEUR GENERAL D’ETHIOPIAN AIRLINES ELU « DIRECTEUR EXECUTIF DE L’ANNEE » PAR CAPA

Le DG d’Ethiopian Airlines Groupe, Tewolde GebreMariam trône au sommet de sa catégorie professionnelle. Selon Financiel Afrik, a été nommé « Directeur...