Sénégal : « Pourquoi nos dirigeants laissent-ils la danseuse Germaine Acogny courir à la faillite ? »

14 - Juillet - 2017

Aisha Dème, militante culturelle à Dakar, s’insurge de voir l’Ecole des Sables à cours de moyens alors que les législatives battent leur plein, à coups de milliards de francs CFA.

Il y a quelques jours, une lettre de Germaine Acogny est tombée dans la boîte aux lettres électronique de nous autres, acteurs culturels, militants ou amoureux de culture en Afrique. Il s’agissait d’une relance à une précédente lettre qui invitait, avec beaucoup de pudeur, à soutenir financièrement l’Ecole des Sables, un centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique, située à Toubab Dialo, à quelques kilomètres au sud de Dakar.


Cette relance est arrivée comme une gifle. « Est-ce que vous avez compris ? », nous disait-elle. « Cela fait quelques semaines que nous avons écrit une lettre à tous ceux qui nous connaissent, qui connaissent l’Ecole des Sables, pour leur demander un soutien à cause de notre situation financière difficile. » C’était la version « soft », rédigée cela fait un moment. La réalité d’aujourd’hui est beaucoup plus brutale. Actuellement, l’Ecole des Sables n’a plus les moyens de fonctionner que quelques mois. C’est donc « demain ».
Transmission du savoir

J’ai pris ces mots dans la figure parce que, effectivement, je n’avais pas compris. Mais je suis passée vite de l’état de surprise à la colère. C’est l’histoire qui se répète : ces monuments de la culture, qui ont porté haut le drapeau du Sénégal et de l’Afrique partout dans le monde, se retrouvent un jour ou l’autre face à de sérieux problèmes financiers, ou de santé, parce que ne bénéficiant pas d’une bonne prise en charge médicale… Cela devient presque banal.
Ils sont des trésors de notre patrimoine culturel, sur lesquels nous devons veiller, mais ils sont les oubliés de nos gouvernements.

Le rôle de nos dirigeants n’est-il pas de veiller à la sauvegarde, à la transmission du savoir et de l’héritage culturel ? Dans un monde que je ne qualifierais pas d’idéal mais juste normal, nos responsables auraient créé des écoles et demandé à ces grands artistes de transmettre leur savoir. Ils seraient invités à donner des cours à l’université.
Dans un monde normal, un monument comme feu Doudou Ndiaye Rose, le tambour-major, n’aurait pas espéré pendant de longues années de pouvoir construire une école « pour léguer son savoir aux jeunes avant de partir », sans avoir les moyens financiers de réaliser ce rêve. Il disposait d’un terrain pour la construire et a sollicité le soutien des gouvernements successifs, douze années d’affilée. En vain. J’ai eu cette information de l’artiste lui-même, en janvier 2014, dix-huit mois avant sa mort.

Dans un monde idéal, la grande Germaine Acogny ne devrait pas rencontrer de problèmes financiers pour faire fonctionner son école. Non, pas la Germaine Acogny de l’école Mudra Afrique. Pas la fondatrice de « la maison mère de la danse africaine », un lieu qui a éduqué, inspiré, encouragé, réuni des danseurs et chorégraphes de toute l’Afrique et d’ailleurs. Pas la Germaine Acogny de Maurice Béjart, celle qui a dansé, chorégraphié et enseigné dans le monde entier et qui est devenue le véritable émissaire de la danse et de la culture africaines. Pas celle que l’on surnomme « la mère de la danse africaine contemporaine ». Pas cette enfant du Sénégal qui a porté les couleurs du pays avec fierté, grâce et grand succès.

Germaine Acogny ne devrait pas rencontrer de problèmes financiers pour faire fonctionner son école au point de lancer cet appel qui ne peut que briser le cœur de toute personne connaissant son travail et son parcours. Les autres peuvent découvrir son incroyable trajectoire ici.
« Peut-être devons-nous rappeler au président Macky Sall qu’il a décrété 2017 année de la culture au Sénégal ? »
Dans un monde normal, l’artiste Joe Ouakam aurait gardé sa Cour, ce lieu mythique de création et de rencontre du monde culturel dakarois. Cette Cour a été pendant quarante ans l’âme du Dakar culturel. Puis l’artiste a été menacé d’expulsion par les héritiers du propriétaire de la maison, alors qu’il était très malade. Dans un monde normal, le gouvernement aurait racheté cette maison qui était un patrimoine culturel, et surtout un lieu fédérateur qui fécondait l’art, le beau, le vivant. Joe Ouakam s’est éteint en plein milieu de cette polémique.
Il y a encore tant et tant d’autres cas… Peut-être devons-nous rappeler au président Macky Sall qu’il a décrété 2017 année de la culture au Sénégal ?
Mais si nos dirigeants ne le font pas, veillons nous-mêmes, comme nous le pouvons, sur nos baobabs, ceux qui enfoncent leurs racines profondément dans notre terre pour faire fleurir l’essence de notre culture, pour la faire rayonner dans le monde. Parce que nous, nous connaissons l’importance de la culture pour une nation.
Ils sont, nos dirigeants, depuis le dimanche 8 juillet, en campagne pour les législatives sénégalaises, avec des budgets à plusieurs milliards de francs CFA. Dites-leur que nous, les « cultureux », nous les gueux, ce sera notre campagne à nous, et que nous gagnerons.

Lemonde.fr

 

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