DIASPORA BONDS : PATRIOTISME ECONOMIQUE OU ILLUSION COMPTABLE ? (PAR IBRAHIMA THIAM)

23 - Septembre - 2025

Les diaspora bonds apparaissent comme une piste de financement classique, réhabillée dans une rhétorique souverainiste. Ce n’est pas une innovation – le mécanisme avait déjà été expérimenté par le passé par la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS). La véritable question n’est donc pas leur nouveauté, mais leur soutenabilité et leur crédibilité.

L’argument de la solvabilité de l’État du Sénégal mérite d’être nuancé. Dans un pays où le déficit budgétaire et l’endettement public sont déjà sous pression, présenter l’État comme un créancier sûr relève davantage de la promesse politique que de l’analyse économique. La comparaison avec la France est éclairante : des millions d’épargnants y détiennent des obligations publiques qui, en pratique, ne rapportent plus rien, leur rendement réel ayant été rongé par l’inflation. L’épargnant sénégalais de la diaspora doit donc s’interroger : son attachement patriotique suffit-il à justifier un placement qui pourrait perdre sa valeur réelle demain ?

Le taux annoncé de 6 à 7 % paraît attractif comparé à l’épargne classique, mais il doit être mis en regard du risque. Ce risque est double : financier, compte tenu de la fragilité des finances publiques ; et politique, au vu de la gouvernance parfois approximative de la dette. L’élan patriotique peut inciter à souscrire, mais l’histoire économique prouve que la fibre du cœur ne compense jamais la réalité des chiffres.

Le parallèle avec les obligations françaises l’illustre : massivement détenues par les ménages via l’assurance-vie et les fonds de pension, elles ont été vidées de leur substance par des décennies de taux artificiellement bas, transformant une rente promise en illusion comptable. Le danger est que les diaspora bonds sénégalais suivent le même chemin : séduisants au départ, mais décevants sur la durée si la trajectoire macroéconomique n’est pas corrigée. Les managers de ce système n’inspirent pas confiance.

Enfin, l’idée que ces emprunts financeraient directement des infrastructures visibles, comme une autoroute ou un hôpital, est séduisante mais trompeuse. La dette publique ne fonctionne pas comme une caisse affectée : elle se fond dans un budget global, soumis à toutes sortes de contingences. La promesse de « voir » son argent dans un projet précis relève davantage de la communication que de l’économie réelle. Ces gros investissements sont en général soutenus par des financements concessionnels.

En conclusion, les diaspora bonds peuvent diversifier les sources de financement et flatter un sentiment de patriotisme économique. Mais pour ne pas devenir les « obligations sans valeur » de demain, ils doivent être adossés à une gouvernance rigoureuse, à une transparence accrue et à une discipline budgétaire qui, pour l’instant, restent à démontrer.

Ibrahima Thiam, Président du parti ACT

Commentaires
0 commentaire
Laisser un commentaire
Recopiez les lettres afficher ci-dessous : Image de Contrôle

Autres actualités

21 - Août - 2025

Le Sénégal condamne les sanctions américaines contre le magistrat Mame Mandiaye Niang de la CPI et réaffirme son soutien à la Cour

Le ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères du Sénégal a réagi avec fermeté après l’annonce de...

20 - Août - 2025

Partenariat Sénégal–Mauritanie : l’alliance prend un nouvel élan à Tokyo

À l’occasion de la neuvième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9), les présidents...

20 - Août - 2025

FRANCE, DEGAGE ! … MAIS PAS TROP LOIN (PAR IBRAHIMA THIAM)

Au Sénégal, les slogans révolutionnaires ont la durée de vie d’un beignet au soleil. Hier encore, c’était « France dégage ! »,...

20 - Août - 2025

INONDATIONS : UN PLAN ABANDONNE, DIX ANS DE PROMESSES NOYEES (PAR SOREU MALICK)

En 2012, le Sénégal s’était donné une ambition historique : éradiquer les inondations en dix ans. Le Plan décennal de lutte contre les inondations,...

19 - Août - 2025

Barthélémy Dias contre l'Etat : la bataille juridique qui risque de perturber l'élection du nouveau maire de Dakar

L'élection du nouveau maire de Dakar, prévue ce 25 août, risque d'être perturbée. En cause, la Cour suprême saisie par Barthélémy Dias,...