«Eliminer l’immigration ne réglera pas le problème du chômage»

06 - Février - 2017

Le professeur d’économie El Mouhoub Mouhoud déconstruit les idées reçues sur l’immigration, qui peut selon lui s’avérer positive pour l’emploi.

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, El Mouhoub Mouhoud est spécialiste de la mondialisation et des migrations internationales. Son dernier ouvrage, l’Immigration en France. Mythes et réalités (Fayard, 2017), permet d’apporter des réponses étayées à tous ceux qui ont fait de l’immigration un thème de campagne politique, propice à toutes les déformations.
L’immigration prend une grande place dans les débats de la vie politique française. Pourtant, votre livre rappelle que la France n’est plus un grand pays d’accueil…

Quand on regarde les flux dans les pays de l’OCDE, on se rend compte que la France est même en queue de peloton. Chaque année, les titres de séjour délivrés aux étrangers représentent environ 200 000 personnes, soit 0,4% de la population française, contre plus de 0,7 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Le solde entre les entrées et les sorties d’étrangers se situe autour de 100 000 personnes. Chaque année, 100 000 étrangers repartent, dont 70 000 sont des Européens en libre circulation. L’immigration de travail ne concerne que 20 000 personnes par an, dont 10 000 anciens étudiants déjà en France qui demandent la transformation de leur statut. Focaliser une politique sur les restrictions à l’entrée paraît donc en décalage avec la réalité. Loin des plaidoyers en faveur ou contre les migrations, et si l’on veut un jour mettre en place une politique efficace et juste, il est important de faire porter la raison dans ce débat.
Le FN défend l’idée d’une réduction des flux migratoires pour protéger l’emploi des Français. Cela vous paraît-il réaliste ?

Eliminer ou réduire ces 100 000 entrées nettes ne réglera ni le problème du chômage ni celui des territoires ségrégués. On met sur le dos de l’immigration des questions liées en réalité aux échecs des politiques structurelles. Par exemple, en dépit d’un taux de chômage de 10 %, 40 % des zones d’emploi sont en difficulté de recrutement. Il manque encore en France un véritable droit à la mobilité entre les régions pour les travailleurs. Dans le bâtiment ou les travaux publics, si les employeurs ne trouvent pas de main-d’œuvre, cela bride la croissance. C’est pour cela qu’ils se tournent vers des travailleurs étrangers. En revanche, lorsque le mouvement de la croissance est déclenché, l’immigration l’accélère. Mais ce n’est pas elle qui la déclenche.
Une idée reçue est que l’immigration a pour effet de tirer les salaires à la baisse. Est-ce vérifié ?

La dernière étude disponible montre que l’immigration a plutôt un effet positif sur les salaires des autochtones, de l’ordre de 3 à 5 %. En fait, quand les immigrés arrivent, ils occupent les tâches les plus pénibles, celles dont les locaux ne veulent pas. Les natifs se transfèrent sur des postes mieux rémunérés. La substitution est possible, mais elle s’opère entre vagues successives d’immigrés. Par exemple au Portugal, les immigrés ukrainiens ou moldaves ont remplacé les Cap-Verdiens. Il y a une complémentarité et pas une concurrence. Mais encore une fois l’effet est d’une faible ampleur.
Le FN propose de mettre en place une nouvelle taxe dont devraient s’acquitter les patrons embauchant des travailleurs étrangers. Qu’en pensez-vous ?

Elle me semble inefficace. D’une part parce que ça ne concernerait que 20 000 travailleurs, soit bien en dessous des tensions sur le marché du travail. Ensuite, parce qu’il ne faut pas faire croire que le marché du travail n’est pas protégé pour les Français. Il l’est ! Pour avoir un titre de séjour, il faut lever l’opposabilité de la situation de l’emploi, c’est-à-dire prouver que l’emploi ne peut pas être occupé par un natif ou un résident permanent. Une fois la clause d’opposabilité levée, il existe même une liste limitée de métiers en tension ouverts aux étrangers. Cela reste marginal par rapport aux 200 000 à 300 000 emplois non pourvus. L’immigration ne fait donc pas augmenter le chômage et reste largement en dessous du seuil nécessaire pour faire baisser les tensions sur le marché du travail. La taxe devrait selon le FN s’appliquer aux intra-européens, ce qui ne changera rien non plus au taux de chômage, mais suppose la sortie de l’Europe. Il serait plus efficace de renégocier la directive européenne sur les travailleurs détachés plutôt que de taxer ou d’interdire le travail détaché. Car certes la France est le deuxième pays qui attire le plus de travailleurs détachés (après l’Allemagne), mais c’est le troisième pays qui fournit le plus de travailleurs aux autres.
Vous défendez une politique de régularisation ambitieuse des travailleurs sans-papiers, jugeant que cela serait plus profitable à l’économie et la société…

Des évaluations du nombre d’entrées de personnes sans-papiers parviennent à un chiffrage de 30 000 à 40 000 personnes par an. Elles occupent souvent des emplois. Leur régularisation, puisqu’on connaît leur compétence, permettrait d’améliorer leur compétitivité, leur donnerait la possibilité d’être encore plus utiles à la collectivité. Il faut aussi se pencher sur le système de sous-traitance en cascade, générateur de travail clandestin. Souvent, l’administration fiscale ne peut intervenir qu’à l’échelon des sous-traitants de dernier ordre. Sauf que le problème ne vient pas seulement d’eux, mais de la stratégie de report des charges sur les sous-traitants et de désalarisation formelle de la main-d’œuvre par les grands groupes donneurs d’ordre, qu’il faudrait aussi criminaliser.

Liberation

 

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