De l’analphabetisme à la Société du Savoir et de la Connaissance : Quelles stratégies curriculaires pour une Alphabétisation et une Éducation Non Formelle inclusives et durables pour l’Afrique ? (Par Djibril SANE Technopedagogue)

Du Savoir pour pouvoir : repenser l’Alphabétisation et l’Éducation Non Formelle à l’aune des transitions
A l’intersection des impératifs d’inclusion, de l’urgence écologique, de la transformation numérique, de l’intelligence artificielle (IA) et de l’intelligence émotionnelle (IE),l’Afrique est appelée à inventer de nouveaux chemins pour Alphabétiser autrement, durablement et en mobilisant ses propres ressources.
Continent jeune,pluriel et dynamique,l’Afrique reste néanmoins confrontée à une réalité persistante : plus d’un tiers de sa population adulte demeure analphabète. Cette situation touche particulièrement les femmes, les jeunes marginalisés, les populations rurales et les groupes vulnérables. Or dans une ère où la Société du Savoir et de la Connaissance s’impose comme modèle, la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du calcul, mais aussi des compétences numériques, émotionnelles et cognitives avancées devient un levier décisif de développement humain,social et économique.
Ce paradoxe est d’autant plus frappant que le continent connaît un essor sans précédant des technologies numériques, de l’intelligence artificielle, de l’innovation sociale et des savoirs endogènes. Une jeunesse avide d’opportunités pousse à la transformation, mais les dispositifs curriculaires d’Alphabétisation peinent à s'ajuster à ces mutations. En réalité, ces dispositifs n’intègrent ni pleinement les transitions contemporaines, ni les dimensions humaines, technologiques ou émotionnelles de l’apprentissage.
I. Des Cadres internationaux ambitieux, des résultats contrastés.
Depuis le début du XXI e siècle, plusieurs initiatives internationales ont cherché à repositionner l’Alphabétisation et l’Éducation non Formelle au cœur du développement humain :
●Le Cadre d’Action de Dakar (2000), dans le cadre de l’Éducation Pour Tous (EPT), qui faisait de l’alphabétisation des adultes un pilier essentiel
●La Décennie Des Nations Unies Pour l’Alphabétisation (2003-2012), placée sous le slogan< Savoir Pour Pouvoir >,qui visait à renforcer les capacités fondamentales des adultes
●Le Cadre d’Action de Belém (2009),issu de la CONFINTEA VI,qui appelait à inscrire l’Alphabétisation dans une approche d’apprentissage tout au long de la vie.
●L’Initiative Pour l’Alphabétisation : Savoir Pour Pouvoir de l’UNESCO,déployée dans 35 pays à forte prévalence d’analphabétisme,dont plusieurs en Afrique.
●Le Cadre d’Action de Marrakech (2022), issu de la CONFINTEA VII , qui insiste sur l’urgence de donner une seconde chance éducative aux jeunes et adultes exclus
●L’Objectif de Développement Durable 4(ODD4), qui vise à garantir une Éducation inclusive, équitable et de qualité, et à promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de vie pour tous.
Malgré la richesse de ces cadres, les progrès sont restés en deçà des attentes. Les politiques curriculaires n’ont pas pu s’adapter aux contextes locaux, aux langues nationales, aux besoins spécifiques des apprenantes et apprenants, (ni) encore moins aux transformations induites par la Révolution du numérique, l’intelligence artificielle ou les approches basées sur l’intelligence émotionnelles.
II. Pourquoi les curricula restent- ils un maillon faible de l’Alphabétisation et de l’Éducation Non Formelle ?
La fragilité des curricula d’Alphabétisation et d’Éducation Non Formelle tient à leur faible contextualisation, leur manque de flexibilité et leur incapacité à évoluer avec les sociétés. Plusieurs limites structurelles persistent :
●une inadéquation aux réalités des publics cibles, avec une faible prise en compte des langues locales, des métiers, des enjeux de genre et des contextes culturels.
● une quasi-absence des compétences numériques, socio-émotionnelles et écologiques pourtant fondamentales dans la Société du Savoir et de la Connaissance.
●Un cloisonnement entre Éducation Non Formelle, Formation Professionnelle Par Apprentissage et Développement communautaire, qui empêche une approche systémique.
●Une absence de reconnaissance formelle, en l’absence de certifications ou de passerelles vers d’autres niveaux de formation.
●Une sous utilisation des innovations pédagogiques et andragogiques, en particulier celles issues du terrain et intégrant l’IA éducative ou des dispositifs de développement de l’intelligence émotionnelles .
III.Vers des curricula de transition : pour une Alphabétisation et Éducation Non Formelle durables inclusives et transformatrices
Pour répondre aux défis contemporains, démographiques, climatiques, numériques, linguistiques, sociaux,politiques et économiques, il est urgent de concevoir des curricula africains pour l’Alphabétisation et l’Éducation Non Formelle qui soient:
1. Multilingue et culturellement enracinés
●Intégrant les langues nationales comme supports premiers d’apprentissage
● Valorisant les savoirs endogènes, les pratiques communautaires et la narration orale.
●Appuyés sur des outils d’IA linguistique : traducteurs automatiques, synthèse vocale, assistants éducatifs en langues locales.
2. Axes sur les compétences de vie, l’intelligence émotionnelles et l’autonomisation
● Articulés aux besoins de santé, citoyenneté, environnement, parentalité, protection sociale, paix
● Connectés à l’économie locale (agriculture,élevage, pêche,artisanat, commerce,économie informelle,économie numérique)
● Intégrant les compétences socio-emotionnelles (empathie, coopération, estime de soi, confiance en soi,pouvoir Avec, pourvoir sur, pouvoir sous,résilience) dans les pratiques andragogiques.
● Mettant l’intelligence émotionnelle au cœur de la relation andragogique pour renforcer l'estime de soi,motivation et capacité d’engagement des apprenantes et apprenants adultes.
3.Flexibles,modulaires et hybrides
● permettant des parcours personnalisés et évolutifs
● S’appuyant sur une diversité de canaux: numériques, radios, télévisions, téléphone portables, tablettes, presentiel, apprentissage en situation réelle
● Exploitant l’IA pour individualiser les parcours, suivre les progrès, offrir du tutorat automatisé ou des feedbacks personnalisés
4.Certifiants et ouverts sur la mobilité
● Offrant des passerelles vers la formation technique et professionnelle par apprentissage pour l’éducation formelle.
● Reconnaissant les acquis informels et expérientiels via des micro- certifications et des portfolios numériques de compétences, incluant des soft skills.
5.Conçus de manière participative et territorialisée
● En lien avec les collectivités locales, les OSC, les femmes et les jeunes.
● Inscrits dans les plans de développement des pôles territoriaux
●S’appuyant sur les données et l’IA pour cartographier les besoins, anticiper les profils d’apprenants et orienter les politiques publiques.
Conclusion : pour une refondation curriculaire porteuse de souveraineté cognitive,
construire une Afrique du Savoir inclusive, exigent une refondation profonde des curricula d’Alphabétisation et d’éducation non Formelle. Il ne s’agit plus simplement d’apprendre à lire ou écrire, mais d’apprendre à apprendre, à ressentir, à raisonner, à coopérer, et à innover dans un monde en transformation accélérée.
L’Afrique a les ressources humaines, culturelles et technologiques pour imaginer ses propres modèles éducatifs. Ses modèles doivent être enracinés dans ses langues, ses territoires,ses valeurs et ses défis spécifiques, tout en étant ouverts aux opportunités de l’IA, de l’intelligence émotionnelle et de la Société du Savoir et de la Connaissance.
Des curricula de transition pour l’Alphabétisation et l’Éducation Non Formelle ne sont ni un luxe, ni un gadget technologique : c’est un impératif stratégique pour la souveraineté cognitive,la justice éducative et l’émancipation des peuples. A condition qu’ils soient humainement enracinés, technologiquement éclairés et émotionnellement intelligents.

Djibril SANE
Technopedagogue
Co- concepteurs des plateformes : apc.alphaomedia.org, Adunaa qui est la matérialisation de concept école monde
Référent Senior du Bureau International d’Éducation de l’UNESCO basé à Genève
Vice Président en charge de l’Éducation et de Formation de la Boîte à Innovations Canada